Dans l’histoire de la pop, il existe un genre à part entière qui fut longtemps l’apanage de l’Empire Britannique : la mini-symphonie, cette chanson dépassant la barre fatidique des deux minutes trente, construite en plusieurs parties, nappée d’arrangements extrêmement audacieux. A l’époque, on commençait à parler d’opéra rock, voire même de pop symphonique. C’est une évidence ! L’Héritage Classique influença de futures pop stars nourries au sein des nursery rimes, grossissant quelques années plus tard les rangs des Art Schools londoniennes où l’on enseignait avec délice musique mais aussi poésie, architecture, design ; toutes disciplines qui servirent de modèle à la conception de ces cathédrales mélodiques. Inutile de le souligner davantage mais des deux côtés de l’Atlantique, Beatles comme Beach Boys furent à l’avant-garde du genre avec des réalisations proprement hallucinantes pour l’époque. Loin d’officier en seconde division, de nombreuses formations, galvanisées par tant de liberté, s’engouffrent dans la brèche. Premier constat : les premières déclinaisons apparaissent toutes dans le mouchoir de poche des années 67-68. La deuxième vague tardera à renaître au mitant des années 70 sous l’impulsion (un hasard ?) de Paul McCartney dont la carrière solo débute sous les meilleures augures pop. En effet, le rock progressif domine alors les charts, remplit les stades et impose ses demi-dieux, Yes, Genesis, King Crimson. Eux aussi sont fascinés par cette dimension symphonique. Mais contrairement aux exemples cités ici, ils font du temps une variable largement ajustable au grès de leur inspiration, créant ainsi des morceaux-monstres de plus de vingt minutes. Voilà pourquoi ils n’ont pas été retenus. Atom Heart Mother peut facilement prétendre au statut de symphonie par sa dimension instrumentale et son parti-pris orchestral mais pas à celui de mini-symphonie !!! Avec leurs historiettes farfelues et leur vision baroque, nos Offenbach de la pop méritent aujourd’hui notre reconnaissance.
A Day In The Life. Les Beatles ne croyaient pas si bien dire. Un jour béni pour le groupe qui allait devenir l’Aiguillon Musical de toute une génération. Un jour béni aussi pour tous les apprentis poppeux désireux de sortir leur Sgt Peppers à eux. A Day In The Life. Une Babel pop impossible à décrypter ? Que nenni. Lâchons d’abord un mot : le hasard. Beaucoup d’éléments, d’idées furent ainsi le fruit… du hasard. Morceau placé en fin d’album, A Day In The Life fut cependant le premier titre enregistré après Strawberry Fields Forever et Penny Lane. Ni Lennon ni McCartney n’avaient d’ailleurs songé à en faire la pièce finale. La puissance du titre allait rapidement les convaincre du contraire. Loin de toute interprétation philosophique, l’élément révélateur d’un jour dans une vie demeure incontestablement le LSD. C’est la mort de Tara Browne, une amie adepte de l’acide, dans un accident de voiture qui inspire à Lennon (le principal contributeur de la chanson épaulé du fidèle Paul) le thème d’ouverture. Les couplets suivants prennent leur source dans la presse que John compulsait pour écrire ses chansons. Le mouvement s’achève sur les vers « I’d love to turn you on », hommage cristallin au pape de l’acide Timothy Leary. Et le fameux glissendo orchestral ascendant imaginé par Lennon, une couleur sonore qui monterait crescendo, et formalisé par Paul sous les traits d’un orchestre philarmonique. Il fut ainsi décidé que chaque musicien jouerait la même note, de la plus aigue à la plus grave et de plus en plus fort. La séance fut enregistrée avec l’ensemble des musiciens en costume à qui l’on avait distribué chapeaux, faux nez et cotillons afin de les mettre dans les meilleures conditions. Malgré le caractère incongru de la mise en scène, le résultat lui s’avère des plus réussis. Ainsi finit le segment de John et débute celui de Paul. D’une tonalité plus enlevée, elle démarre par une sonnerie de réveil, totalement fortuite, qui pourtant se marrie à merveille avec les mots de Paul. L’un de ces fameux hasards. Alors que Paul chantonne « and i went into a dream », le « Ahhh » éthéré de John prend le relais pour inaugurer le troisième mouvement, relecture de la mélodie première. Le troisième cycle commence sur un arrangement de cordes conduisant inéluctablement au deuxième glissendo orchestral qui explose en un « orgasme sonore » dixit Lennon. En guise de point final s’ajoute un accord joué simultanément par trois pianos et doublé quatre fois. Les dernières minutes prennent la forme d’un mixage de phrases chaotiques et de bruits semblables aux dernières minutes de Bike dans Piper At The Of Dawn des Floyd (enregistré dans le studio voisin). Une folle journée en vérité !
Quasi au même moment, l’Amérique n’est pas en reste. En Californie, le génie poupin Brian Wilson profite d’une tournée de son groupe pour poser les bases de Pet Sounds, premier chef-d’œuvre de l’âge d’or de la pop. Fort de ce premier succès critique qui laisse pantois les quatre de Liverpool et les pousse à aller plus loin avec Revolver, Brian Wilson envisage un projet plus pharaonique encore : une ode à Dieu qui ne deviendra jamais SMiLE (enfin jusqu’en 2011). Première pierre angulaire de ce concept album, Good Vibrations. Tout a été dit, écrit sur cette chanson, sa genèse, les mois de travail qu’elle a nécessité, l’ambition folle de son créateur poussant le groupe au bord du nervous breakdown. Posons-nous plutôt sur la chanson elle même. Premier constat frappant, il s’agit d’un morceau relativement court en comparaison de tous les autres compositions évoquées. 4’15’’ et 3’45’’ pour la version radio. Outre la batterie d’instruments convoquée pour l’occasion et l’implication quasi obsessionnelle de son créateur, Good Vibration se révèle une chanson charnière dans l’histoire des Beach Boys. Et pour une raison simple qui aura parfois échappé aux exégètes de tous poils. Le couplet qui ouvre le titre, avec son orgue bidouillé, son mythique enchaînement basse/roulement de batterie/tambourin et la voix si mélodieuse de Mike Love incarnent la période Pet Sounds du groupe. Une entame au combien mélancolique traduisant les doutes de la jeunesse des années 60 en quête d’amour et confrontée à la complexité du monde dont la société de consommation et la guerre du Vietnam constituent l’Alpha et l’Oméga symboliques. Le refrain, lui, plus surf rock fait référence aux débuts des Beach Boys, invoquant une mémoire plus heureuse, plus solaire. Par extrapolation ces deux éléments reflètent sans doute la personnalité troublée de Brian qui ressortira psychologiquement lessivé du projet SMiLE. Le pont prolonge le thème principal dans une ambiance céleste où les voix semblent se démultiplier en autant de pistes aux étoiles. Un deuxième pont marque un temps d’arrêt avec percussion subtile, voix tamisées, cuivres massifs et harmonica résonnant dans le lointain. Puis le refrain reprend avec vigueur se poursuivant quasi à l’infini sur des chœurs enfantins, des violoncelles gras et le fameux theremin en guise de fil rouge sonore. Des vibrations si bonnes qu’elles resteront longtemps dans les charts et dans les cœurs.
Buffalo Springfield est sans doute la formation la plus injustement méconnue de l’histoire du rock américain. For What It’s Worth, son tube ultime, apparaît à plusieurs reprises au générique de productions hollywoodiennes. Bref, pas de quoi contenter le rockologue. D’autant que la formation de L.A. a tout de même réuni des pointures du calibre de Stephen Stills et de Neil Young. Habituellement cité pour son caractère taciturne et solitaire, le Loner surprend son petit monde en cette florissante année 67. Le deuxième opus de Buffalo Springfield, Again, compte parmi sa tracklist efficace deux pépites pop dont la symphonie de poche Broken Arrow. Loin des déflagrations électriques qui feront sa légende, Neil Young fait montre d’une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas. Comme pour Expecting To Fly, seuls prévalent les arrangements soyeux. Mais la flèche brisée pousse la logique plus loin. Le morceau débute par la reprise du thème d’ouverture du disque, Mr Soul version live. Cette démarche est en ce point semblable à la deuxième partie de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ouvrant A Day In The Life. Le thème principal prend le relais, fondu habillement dans un maelstrom de cordes mixées et d’arpèges de guitare. Le rideau s’ouvre alors sur la voix du Loner, expressive, au vibrato si reconnaissable. Le caractère épique est ici appuyé par le choix de la valse confèrant au titre toute sa puissance. Chaque segment couplet, refrain, ici sublime d’émotion, est entrecoupé d’un interlude différent. Le premier se compose d’un cri de foule mêlé aux sonorités d’un orgue de barbarie échappé d’une fête foraine qui se fond ensuite pour lancer le deuxième couplet. Le deuxième reprend l’artifice du roulement de tambour, martial et militaire, en clin d’œil au titre. Le même effet de fondu crée l’enchaînement avec la dernière partie. Le troisième intermède qui clôt le morceau décline un thème relativement jovial porté par une clarinette, lorgnant même vers le jazz, dixit le solo de piano. On ne retrouvera jamais une telle conception de le musique dans la carrière solo de Young, même si celle-ci frappa par sa force, son immédiateté et parfois même sa noirceur. Qui n’arrivera jamais à en briser l’élan.
Attention, groupe et disque cultes ! Certes, le slogan semblerait dans d’autres cas un brin emprunté, voire usurpé. Avec Love, il n’en est rien ! Premier groupe multiracial de l’histoire du rock, organisé autour de son leader afro-américain Arthur Lee, avec un patronyme fondamentalement universel, Love avait tout pour vivre les affres de la gloire. Le groupe ne connut que carrière chaotique, désillusion et prison !!! Mais oublions le côté obscur de la force de Love pour nous concentrer sur l’âge d’or de la mythique formation. En deux ans seulement, le groupe sort trois albums dont deux sont aujourd’hui considérés, à juste titre, comme des classiques West Coast. Forever Changes symbolise l’apogée dans la discographie de Love, un chef-d’œuvre indépassable que la bande à Arthur Lee n’arrivera jamais à reproduire. Sublime de bout en bout, il prouve les talents d’écriture de Lee mais aussi ceux du timide Bryan MacLean. Il impose aussi les choix de production du leader qui paradoxalement peuvent expliquer pourquoi l’album est passé, à l’époque, à côté du public. Avec ses arrangements fastueux, ses cordes vibrantes, son clavecin discret et ses trompettes sulpiciennes, You Set The Scene synthétise l’ensemble des parti-pris retenus par Lee et David Angel, le deuxième maître d’œuvre. Détail amusant de geekerie absolue, on retrouve en backing band les piliers du Wrecking Crew monté par le producteur maniaque Phil Spector, Hal Blaine derrière les fûts et Carol Kay à la basse et à la guitare acoustique. Dernier morceau du disque, You Set The Scene représente le point final parfait. Long de 6’56’’, il s’articule autour de trois parties à l’enchaînement subtil, sans hiatus aucun. Le premier thème tout en arpège de guitare et de basse n’attend pas longtemps avant de voir s’immiscer la voix chaude de Lee cisaillée par l’archet du violoncelle. Tous les instruments maintenant se sont mis en place et le schéma se répète le temps d’un deuxième couplet. Au bout de deux minutes, les cordes font leur entrée apportant à l’ensemble une touche guillerette. Solaire. Quelques secondes plus tard, Arthur Lee enchaîne le deuxième thème, porté par les cuivres victorieux. La mélodie se fait alors plus mélancolique, accompagnée par les notes aigrelettes du clavecin et les violons frissonnants. Le troisième mouvement s’amorce alors, dans un fondu merveilleusement exécuté et va alors crescendo, dans un vrombissement de trompettes presque militaires. C’est sur ce final triomphant que le line-up magique quitte alors la scène.
La nuit de satin blanc. LE tube des Moody Blues. LA mini-symphonie par excellence. Avec son ouverture et son grand final grandioses. Avec son romantisme suave. Ses ressacs de mellotron. Et la voix de Justin Hayward, sublime, chaude, virtuose. Oui mais non. Oh, le qualificatif de symphonique n’est pas usurpé mais il faut aller chercher plus loin dans leur discographie pour trouver l’archétype du morceau baroque en plusieurs mouvements. En 1969 paraît leur troisième opus, On A Treshold Of A Dream. Moins célèbre que ses deux prédécesseurs, il n’en demeure pas moins intéressant. D’autant que sur la face B, les Moody Blues proposent une longue suite en trois parties : Have You Heard Part I, The Voyage et Have You Heard Part II. Sans oublier The Dream qui pourrait largement en constituer le mystique prologue sous la forme d’un poème déclamé comme l’affectionne tant le groupe. Have You Heard offre un thème mélancolique de facture classique avec couplet et refrain. Il se situe dans la plus pure tradition Moodysienne. Une nappe de mellotron assure la transition avec The Voyage, composition résolument plus symphonique qui, elle, se subdivise en quatre parties distinctes mais cohérentes. Après une introduction des plus puissantes, presque wagnérienne, s’enchaîne un thème plus floydien dont l’unique nappe d’orgue Hammond transperce alors les eaux en apparence calmes. Car des fins fonds des âges, un hautbois donne de la voix. Puis, troisième partie : sous les caresses du violoncelle le mellotron reprend ses droits. Dernier mouvement paré d’un piano acoustique aux sonorités rêveuses et exaltées. Un roulement de mellotron guide l’auditeur dans les méandres de l’inspiration des cinq musiciens vers Have You Heard Part II, retrouvant les accents paisibles, cools des premières minutes pour se noyer enfin dans un nuage électronique des plus aventureux, conclusion quasi abstraite à cette magistrale symphonie. Trop pop pour la famille progressive, pas assez moderne pour s’en revendiquer, les Moody Blues finissent leur carrière dans la quiétude, soutenus par leurs fans de toujours. Succès d’estime. César d’honneur ? On n’en est pas loin car dès 1969, avec le premier opus du roi pourpre, une nouvelle génération de musiciens bouscule la donne et s’impose sur disque comme sur scène. Les Moody Blues, eux, sont déjà loin. En route pour leur dernier Voyage.
On a trop souvent limité le nom de Buckley au fils Jeff qui dans un jeu du sort assez mélodramatique eut le goût, sinistre, de faire comme son père Tim : mourir de façon mystérieuse. Passons. Car c’est le parcours de Timothy Charles Buckley III qui retient ici toute notre attention. Après un premier album prometteur en 66, proposant une veine folk d’inspiration byrdsienne, Tim Buckley décide de donner corps à ses ambitions musicales, à la frontière entre folk, pop et jazz. Ce leitmotiv guidera la conception de Goodbye & Hello qui représente alors en 1967 son premier chef-d’œuvre (il y en aura d’autres) et l’une de ses œuvres les plus accessibles. Pour le morceau titre, long de plus de plus de huit minutes, Tim emprunte à la tradition médiévale. C’est dans cet esprit qu’il assemble les différents thèmes tout en conservant le même parti-pris : un couplet et un refrain quasi identiques introduits par les vers « I wave Goodbye to/and smile hello to », suivis d’une transition à chaque fois différente. La première prend les atours d’une valse endiablée menée par un clavecin fou, enrichie de complexes arrangements de cordes et de cuivres. La seconde déclinaison poursuit l’inspiration médiévale transfigurée par les aigues de Tim, génial et délicat chanteur. Reprise du motif principal, couplet, refrain sertis d’orchestrations fabuleuses, magiques. Il faut préciser que peu d’artistes américains, à l’exception de Brian Wilson, de Harry Nilsson ou de Phil Ochs, usèrent d’un tel instrumentarium. Au mitant du morceau, résonne le troisième interlude avec ses flûtes espiègles et son incroyable descente d’harmonie. Un saxophone fait alors son apparition parmi la trame musicale constituée de mille et un instruments. Qui annonce de façon presque timide les futures inflexions free jazz de l’artiste. Segment suivant, ambiance syncopée, folle, libre, presque rythmique. Nous approchons de la fin. Dernier couplet s’étirant comme une fin d’été tiède. Puis explose le final, le thème principal qui sous le chant inspiré de Tim devient alors plus symphonique encore. C’était sans évoquer les paroles puissamment poétiques écrites de la plume de Larry Beckett, l’ami de toujours, représentant l’indispensable corolaire d’une musique emphatique, prenante, lyrique, audacieuse. I wave goodbye to Tim and smile hello to…
The Monkees. Un nom qui aurait prêté à sourire si l’on n’avait gardé d’eux que l’image de boys band télévisuel, le premier de l’histoire du rock. Car les quatre (authentiques) musiciens ont fait bien plus que singer leurs illustres homologues anglais, les Beatles. Signé par le duo légendaire Goffin/King, Purpoise Song (Theme from Head) est extrait de Head, sixième album du groupe et bande originale du film éponyme écrit par Bob Rafelson et Jack Nicholson (et accessoirement réalisé par le premier). Bien que relativement pop, cette chanson pourtant magnifique vaut de figurer dans ce panthéon pour son introduction et son final, sans oublier sa dimension hautement cinématographique pleine d’une dramaturgie toute hollywoodienne. A l’origine, le single ne comprenait pas le court segment de vingt sept secondes qui ouvre le morceau. Composé d’une trame relativement simple, orgue, violoncelle, cloches, il crée d’emblée une ambiance de paix intérieure et une quasi impression de quadriphonie. Cet aspect planant s’impose comme le fil conducteur du morceau. La partie centrale débute dans un sentiment d’apesanteur droguée assez inhabituel pour le groupe dont le registre se cantonnait naguère à la pop gentillette pour programme TV propret. Les violons paresseux semblent se fondre dans les inflexions aquatiques, solaires de l’orgue hammond. Voix et chœurs étirés jusqu’à l’extase se joignent merveilleusement à ce maelstrom psychédélique. Puis le morceau s’achève pour repartir dans un crescendo d’orgue, de carillons, de violons samplés et de cris bizarres qui ne sont pas sans rappeler les procédés utilisés à l’époque par les Fab Fours lors des sessions d’enregistrement de Tomorrow Never Knows. Purpoise Song représente dans la carrière du groupe une sorte d’apothéose symbolisée par deux années magiques, 1967/1968 et quatre albums hautement recommandables : Headquarters, Pisces, Aquarius, Capricorn & Jones Ltd., The Birds, The Bees & The Monkees et bien sûr Head. Jamais il ne retrouvera une telle inspiration dans l’interprétation et la production. Deux ans plus tard, le groupe perd progressivement ses « têtes » et se sépare.
3’34’’ chrono ! La mini-symphonie la plus courte de toute l’histoire de la pop ! Un record rarement évoqué pour Live And Let Die, single le plus célèbre des Wings et de sir Macca. Thème principal du huitième film de la série de James Bond, introduisant pour la première fois le jeune et classieux Roger Moore, Live And Let Die relève de l’ouragan pop aux nombreuses turpitudes orchestrales. Mais un peu d’histoire puisque nous parlons cinéma. C’est Harry Saltzman, le célèbre producteur de la franchise, qui demande à McCartney de composer le thème principal du film. Paul profite des sessions d’enregistrement de Red Rose Speedway pour réunir les Wings et graver le mémorable hit. La chanson commence par ces vers innocents « When you were young and your heart was an open book » ornés de piano, de basse ronde et de chœurs sucrés. Et quand vient le refrain, l’orchestre tonne, hausse le menton et explose littéralement en notes tonitruantes ; l’un des thèmes les plus célèbres et repris par une fameuse émission politique française !!! La deuxième partie prend la forme d’un funk ondoyant pourtant typique du style Wings puis décline à nouveau le thème orchestral sans bavardage ni temps mort. A une minute et quarante sept secondes, le thème d’introduction se décline en mode valse ; nous en sommes au troisième mouvement. La voix parfaite de Paul poursuit l’histoire, passe au refrain pour laisser place au final puissant, symphonique, tonique, truculent, mirifique de virtuosité savante et d’inventivité sonore. Alors que le tempo s’emballe, que cuivres et autres picolos s’emportent, la musique s’arrête nette, et c’est un tapis imperceptible de cordes qui clôt alors le titre. Quatre mouvements au total, aussi trépidants que le métrage lui-même et l’on peut compter sur le fringuant Roger pour imprimer un style tout en élégance et en dynamisme. Pour conclure, il convient de rappeler le pedigree de Macca, peu novice en la matière. En plus d’avoir été le co-auteur de A Day In The Life, on lui doit tout au long de sa carrière solo quelques perles du genre comme Uncle Albert/Admiral Halsey, Band On The Run, Picasso’s Last Words (Drink to Me). Loin, très loin du classicisme rock érigé en principe fondateur par son congénère, véritable frère ennemi, John Lennon. Vivre et laissez l’autre mourir ?...
10cc doit sa célébrité à son tube universel, I’m Not In Love, l’un des premiers slows des seventies aux promesses d’amour moite et de sexe facile. En 1976, le groupe sort son quatrième album, How Dare You ! et franchit un cap. En effet, les dix chansons forment un ensemble à la fois ambitieux et homogène. En fin de face B, on trouve Don’t Hang Up qui nous intéresse ici par ses inflexions symphoniques. Six minutes suffisent au groupe pour déployer l’ensemble de son savoir-faire dans un enchaînement de thèmes et d’idées proprement hallucinant. Et cela dès l’entame. Qui débute par une tonalité de téléphone sur fond de piano. Une femme répond d’un « hello » curieux mais distant. Sans prévenir, des cordes à l’incroyable tessiture se mettent à pleuvoir en cascade. L’enjeu dramaturgique du récit est ainsi posé en quelques secondes seulement. Retour du piano puis arrivée de la voix, fragile, aimante, touchante comme si le narrateur implorait le pardon. Une harpe enveloppe l’espace de son voile cristallin. Superbe. Et en même temps kitsch. La basse énorme arrive à la cinquante cinquième seconde. Le récit évoque une séparation douloureuse mais qui appelle une seconde chance ; « Don’t hang up » entonne-t-il dans ce premier refrain. Les arrangements s’ajoutent tout en retenue. 2’50’’, fin du premier mouvement dans un soupir de piano, note relâchée dans l’espace. Les chœurs enchaînent sur un second segment étonnement plus enjoué. Très pop. Frais. Fringuant. Puis à nouveau sans crier gare, un troisième segment instrumental, lyrique, théâtral, ouvert, radieux, transfiguré par un scintillant chorus de guitare. La machine s’emballe, les chœurs roucoulent puis s’évanouissent pour céder place à un quatrième motif plus mélancolique, avec chant dédoublé et orchestration déployée ! Le malheur de l’un faisant ainsi notre bonheur. Progressivement, le thème principal reprend ses droits, couplet, refrain, dans un effet quasi palindromique. Puis, le grand final… La femme raccroche, tonalité interminable. Cohérence et ironie font de cette chanson un modèle du genre, un absolu. Il faudra attendre l’album suivant pour que le groupe, réduit à un trio, propose une telle pièce orchestrale ; Feel The Benefit vaut à lui seul le détour. Et pour ceux qui ont déjà raccroché, passez donc à la prochaine et dernière citation.
Leader génial de l’Electric Light Orchestra, Jeff Lynne avec Mr Blue Sky a poussé le concept de mini-symphonie à son paroxysme. On compte dans ce tube ( !) mythique de 5’06’’ pas moins de quatre segments. Et autant d’idées mirifiques. Commençons par le commencement, le grésillement d’un poste de radio avec l’esquisse du thème central, histoire de signifier que nous avons autant à faire à une œuvre exigeante qu’à un single imparable. Le couplet s’installe donc, orchestrations rock et classique tout de go. Superbe. 35 et 37ème secondes, une sonnerie de tramway et un souffle court, celui d’un coureur, surgissent tels un clin d’œil à A Day In The Life des Beatles. Le refrain suit, chœurs graves à souhait. Puis, un chorus de guitare s’épanche un court moment, sonorité moelleuse, solaire sous les caresses des violons. Nouveau couplet et refrain, pont, et là, sans crier gare, une voix passée au filtre du vocoder chante Mr Blue Sky. L’ensemble, voix, instruments, s’installe dans un rythme de croisière métamorphosé cependant par la complexité des différentes parties superposées. La transition semble infime mais des chœurs baroques, surjoués, lancent le deuxième mouvement ! Telle une poupée gigogne, la chanson n’en finit pas de dévoiler ses nombreux effets. La troisième section, entièrement instrumentale, débute par un riff de violoncelle pour le moins viril, enrobé de chœurs triomphants qui s’estompent alors. Nous venons d’entrer dans la dernière partie dont le final, lent et majestueux, imite à la perfection les grandes symphonies classiques du 19ème. Beaucoup ont cru percevoir dans les dernières paroles vocoderisées le rappel du refrain, Mr Blue Sky mais il n’en est rien. Richard Tendy, le claviériste, confirme qu’il s’agit plutôt de « Please turn me over ». L’essentiel n’est pas là. En ces temps de prog rock agonisant et de punk naissant, ELO revient aux valeurs sûres de la pop britannique ce dont nous lui sommes gré. Preuve que le symphonisme n’était pas qu’une posture musicale, le sous-titre qui accompagne la troisième face de Out Of Blue dont est extrait Mr Blue Sky : Concerto for a rainy day. Ces variations musicales ont pour source les humeurs d’un Jeff Lynne essayant de composer des chansons dans son chalet suisse frappé par une pluie torrentielle. Loué soit le ciel et les conditions météorockologiques de l’époque !
En dehors de cette sélection au cordeau, de nombreux groupes confondirent souvent orgueil et ambition, galvaudant de façon odieuse le concept de mini-symphonie. Procol Harum, Deep Purple, combien cédèrent à la facilité d’enregistrer leurs compositions avec un orchestre philarmonique sombrant dans la kitscherie la plus navrante. Un artiste fait exception qui n’a pas été cité pour des raisons profondes : David Axelrod. Ce compositeur arrangeur de génie n’est pas à proprement parler un artiste pop. Ses albums, entièrement instrumentaux, à l’exception de sa contribution avec les Electric Prunes, tutoyèrent plus le jazz que la pop dans une fusion des genres fondamentalement novatrice. On pourrait peut-être garder un titre comme The Fly, publié sur Songs Of Experience, dont le clavecin, omniprésent, et les multiples mouvements le rapprochent de nos dix morceaux. Pour les fans hardcores, on recommandera donc de se replonger dans sa discographie et de pousser le vice jusqu’à écouter en boucle les meilleurs opéras rock des décennies 60 et 70. Seeeeee meeeeee, feeeeeel meeeeee, touch meeeeee, hear meeeeee.
The Beatles, A Day In The Life :
http://www.youtube.com/watch?v=P-Q9D4dcYng
The Beach Boys, Good Vibrations :
http://www.youtube.com/watch?v=NwrKKbaClME
Buffalo Springfield, Broken Arrow :
http://www.youtube.com/watch?v=xw_IpO-UkEkLove, You Set The Scene :
http://www.youtube.com/watch?v=KdELzBV9pyo
The Moody Blues, Have You Heard Part I, The Voyage, Have You Heard Part II :
http://www.youtube.com/watch?v=RSdBJgOylq8
Tim Buckley, Goodbye & Hello :
http://www.youtube.com/watch?v=PVimPk0kk1k
The Monkees, Purpoise Song :
http://www.youtube.com/watch?v=ZpvCxYikRFA
The Wings, Live And Let Die :
http://www.youtube.com/watch?v=Apvge4l3Nmw
10cc, Don’t Hang Up :
http://www.youtube.com/watch?v=Bq558m_SjeM
ELO, Mr Blue Sky :
http://www.youtube.com/watch?v=bjPqsDU0j2I
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