Échange nourri, ping pong et autres discussions.
Tricatel. L’enseigne, discrète, semble coincée entre deux immeubles. Très loin du côté « usine » à artistes. Ce n’est pas vraiment le genre de la maison. Maison, un joli mot définissant à merveille la petite entreprise que conduit Bertrand Burgalat dans un monde ne connaissant, hélas, que la crise. J’ai rendez-vous avec le maître des lieux. Et je ne suis pas seul. Je suis accompagné de mon auxiliaire photographe, une sorte de mini-moi en mode Nancy Sinatra à frange noire. Le soir se clôt en longs cils bleus. L’air est doux. Suave. A l’image de la musique produite ici. Entrée… En matière, poignées de mains, présentations, sourires. La scène se déroule très naturellement, chacun s’installe, se prépare, focale et objectifs pour l’une, dictaphone pour votre serviteur. Nous nous jetons négligemment dans les canapés. L’entretien est informel. Derrière nous, l’équipe s’affaire, yeux rivés sur les ordinateurs dans la grande Effervescence Digitale Contemporaine. L’interview va enfin commencer, l’appareil photo produit son premier flash… Back sur le CV du Monsieur. Quel portrait robot dresser ? Les visages sont multiples. Fin des années 80. Les chemins de la pop croisent d’abord la route du rock qui mène Burgalat dans les territoires profonds de la Slovénie où il s’entiche d’un groupe de musique industrielle, Laibach, qu’il décide de produire. Début atypique. On aime. 1990, retour au bercail. 1996, création du label Tricatel. Les collaborations fructueuses s’enchaînent : A.S Dragon, groupe phare de l’écurie, April March, Valérie Lemercier, Houellebecq, les Shades pour ne citer qu’eux. Burgalat signe sous son propre nom quatre albums solos brillants, The Sssound of Mmmusic, Portrait Robot, Chéri B.B. et le mythique live, Bertrand Burgalat meets A.S Dragon. Aujourd’hui, certains rêveraient de posséder ces collectors en vinyle VG++. Les années 2000 s’achèvent sur de nombreux succès, reconnaissance populaire, décoration. Bref, la nouvelle décennie allait s’ouvrir sur des projets prometteurs, de nouvelles directions pour notre démiurge. Directions, tiens donc, Toutes Directions, c’est le titre du nouvel album de Bertrand Burgalat. Quinze titres au compteur et cette écriture si identifiable, pop, moderne, synthétique et élégante. Une fois n’est pas coutume, l’homme a convié de très belles plumes. Le résultat est là, moins narratif que poétique. Parfois abstrait, comme un instantané, une image d’une époque convoquée pour être mieux disséquée. On est loin d’Isabelle A Les Yeux Bleus. Parmi tous ces titres, certains se détachent, s’affirment dans leurs splendeurs actuelles : Double Peine, Sentinelle Mathématique, Très Grand Tourisme, Réveil En Voiture, Dubaï My Love ou encore le classieux Too Much. Les autres titres sont autant de pauses délicieuses pareilles à des purs sangs s’abreuvant à la source. On prend son temps à l’écoute de l’album comme lors de ces longues balades dominicales en voiture. Le deuxième flash crépite alors, stoppant net ce long aparté mémoriel.
Shebam : Bonjour Bertrand, moi c’est Bertrand…
Bertrand Burgalat : Bonjour Bertrand !
Shebam : Tes initiales sont BB. Est-ce un hasard ? D’autant que tu as glissé dans la tracklist de ton album un morceau intitulé Bardot’s Dance…
Bertrand Burgalat : Alors, c’est un hasard ! Je n’ai choisi ni mon nom ni mon prénom ! Bardot’s Dance est aussi un hasard. Il s’agit d’un texte d’Hélène Pince qu’elle a dû écrire sans penser à moi. Je crois même qu’elle voulait le chanter. Ce texte devait s’adresser à un garçon et être chanté par une fille.
Shebam : Toutes directions… Collectionneur de panneaux de signalisation, obsédé de giratoire ou tout simplement compositeur éclectique ?
Bertrand Burgalat : Non, je ne collectionne ni les panneaux ni les plaques émaillées. En fait, j’ai songé à ce titre en lisant un livre d’Eric Neuhoff. Il parlait d’un écrivain, Dominique De Roux. Et il avait une phrase… Il disait qu’il prenait toujours les panneaux toutes directions. C’était mieux écrit que cela. Mais je trouvais que cela correspondait parfaitement à ce que j’essayais de faire dans ce disque.
Shebam : Tu avais donc besoin de 15 chansons pour explorer toutes ces voies ?
Bertrand Burgalat : J’en ai enregistré 21, prêtes à être mixées ! Ce sont des voies qui mènent à peu près toutes au même endroit. C’est plus une image. Ce n’est pas un disque où je souhaitais faire une salsa puis après un morceau rock. Il s’agit moins d’éclectisme que d’un sentiment intérieur. Il ne faut pas trop se poser de questions, se tendre trop de pièges. Je trouve qu’aujourd’hui, on a une façon un peu trop systématique d’aborder la musique. Surtout dans l’univers de la pop où l’on a tendance à faire des disques avec des morceaux toujours dans le même tempo, le même rythme. J’ai du mal moi aussi à m’extirper de ça et j’aimerais bien de temps en temps y arriver.
Shebam : Quelle motivation profonde t’as poussée à passer de producteur à chanteur ?
Bertrand Burgalat : Je ne sais pas si c’était une motivation. D’une certaine façon, j’avais des morceaux que je n’arrivais pas à réaliser autrement. Quand j’étais producteur, j’étais au service des compositions des autres. Moi en tant que compositeur, j’étais ravi chaque fois que je pouvais faire interpréter mes chansons par d’autres personnes. Sauf que parfois cela ne leur correspondait pas. Et l’on se retrouve avec des choses que l’on aimait bien sur les bras. On se dit « peut-être que je vais les faire ». C’est comme cela au départ. La plupart des choses que j’ai faites, je les ai faites par défaut. Et c’est très bien. Ce sont des accidents tout à fait utiles.
Shebam : Aimes-tu ta voix ? Réécoutes-tu tes disques ?
Bertrand Burgalat : Hum… Oui, je les réécoute ! Quand on travaille sur un morceau, je ne sais pas combien de fois on l’écoute, on repasse les rythmiques : des centaines de fois. En fait, je n’aime pas ma voix lorsque je chante fort. Et du coup, c’est un peu une source de complication : il est plus difficile de chanter doucement, contrairement à ce que l’on imagine parfois, que de chanter fort. De même, je n’aime pas certaines fréquences dans ma voix comme les bas médium. Je ne peux pas dire j’aime ma voix : elle est comme elle est. Je ne sais pas… Je n’ai jamais pensé à changer de nez ni d’oreilles (sourires). Je n’ai pas pensé à changer de voix non plus.
Shebam : T’es tu entouré du même groupe que pour les albums précédents ?
Bertrand Burgalat : Non. Pour cet album, les batteries ont été faites par Julien Barbagallo, la plupart des guitares par Benjamin Guilbert. Tous deux font partie d’un groupe que j’aime beaucoup, Aquaserge. Ils produisent une musique assez proche du rock expérimental et de groupes comme Gong ou Henry Cow. Ils vivent près de Toulouse et sont venus quelques jours enregistrer avec moi. On avait déjà fait des concerts ensemble. En revanche, pour les radios ou les futurs sets, je serai ravi de renouer avec Hervé Bouétard, Stéphane Salvi, toute l’équipe des anciens Dragon.
Shebam : On retrouve ce style imparable, entre esprit vintage et sonorités électroniques… N’est-ce pas cela « l’aventure moderne au contenu élastique » ?
Bertrand Burgalat : Oui, c’est peut être cela. Je n’ai pas une formule que j’essaye de faire systématiquement : je tâtonne. En même temps, ce qui caractérise notre époque, et il y a un essai de Simon Reynolds à ce sujet-là, c’est le passéisme. Moi je ne suis pas passéiste, en tout cas pas de cette façon-là. J’utilise des instruments moins vieux que les violons classiques. Utiliser un clavier fabriqué il y a trente ou quarante ans ne relève pas d’une démarche esthétique en soi, pas plus que de jouer sur un violon du XVIIIème siècle ! Je ne suis pas forcément nostalgique de l’Ancien Régime (rires) !
Shebam : Du coup, je trouve qu’il y a aussi une approche très contemporaine dans les paroles…
Bertrand Burgalat : Oui, c’est vrai…
Shebam : Comme dans Dubaï My Love qui est un des morceaux emblématiques du disque.
Bertrand Burgalat : C’est une façon de parler de certains endroits, du monde moderne et en définitive de la société d’aujourd’hui. Je trouve que c’est important. J’ai tendance à me cacher derrière les paroles, à pousser mes paroliers à faire de même : qu’ils tendent vers une certaine abstraction. J’ai été heureux dans ce disque d’arriver à dire des choses plus conformes à mes envies initiales. C’est un disque qui parle beaucoup du monde dans lequel on vit. Et il le fait de façon indirecte. Aussi parce que je trouve qu’il ne faut pas être trop conjoncturel lorsqu’on écrit une chanson. La conjoncture change, mais la chanson demeure. Un titre comme Dubaï My Love est ce que l’on pourrait presque appeler une chanson politique.
Shebam : Radiale, géométrie, diagonale, tangente, parallèle, axiome, tu es nostalgique du bac C ?
Bertrand Burgalat : Pas du tout ! J’ai passé un bac B et j’ai eu 14 en maths ! C’est la première fois depuis la quatrième que j’ai eu la moyenne. En fait, j’avais des antisèches mais je ne sais pas si cela m’a vraiment aidé. Pour dire vrai, c’est assez injuste car j’ai toujours été nul dans cette matière. C’est Barbara Carlotti qui a écrit le texte de Sentinelle Mathématique. Elle a fait quelque chose de très différent de ce que j’avais en tête. J’ai trouvé ça parfait ! J’aurais voulu que ce morceau soit une ghost town qui parle de notre société mais je n’ai jamais réussi à écrire moi même un texte dans ce sens. De plus, cela aurait fait double emploi avec un texte comme Double Peine qui parle de ça.
Shebam : Tu parles beaucoup de voiture, de tourisme, de voyage. Serais-tu en train de proposer au public ton Autobahn à toi ?
Bertrand Burgalat : Ce serait bien (rires) ! Autobahn est un disque qui m’a sidéré à l’époque et qui me sidère toujours d’ailleurs ! L’attitude qu’avait Kraftwerk par rapport au monde contemporain était assez pince-sans-rire et donc très difficile à décrypter à l’époque. Quand ils sortaient un disque comme Radioactivity, certains pensaient qu’ils étaient pour le nucléaire. Cela m’a beaucoup influencé. Et peut-être que si j’eus tendance à détourner une certaine forme de banalité, ça devait aussi être l’influence de Kraftwerk qui jouait sur cette symbolique-là. Eux jouaient sur le symbolique de l’Allemagne d’après-guerre, tout cet univers industriel, l’autoroute, les ordinateurs. Autobahn a certainement dû me marquer. On ne se rend pas compte à l’époque comment un tel disque, à tous points de vue, musical, esthétique, pouvait offrir un véritable parti-pris. Jamais un groupe n’avait eu une position esthétique aussi forte, singulière et subtile.
Shebam : Le paysage musical français est en constant mouvement. Comment arrives-tu à situer ?
Bertrand Burgalat : C’est une très bonne question mais il y en a deux ! En raison du business d’un côté et des groupes, des interprètes de l’autre. Dans le business, je me situe dans une forme d’artisanat revendiqué mais pas en opposition avec la grande industrie. J’ai un peu plus de mal avec le faux bio, avec ceux qui revendiquent le côté indépendant sans l’être vraiment eux-mêmes. Mais je trouve qu’on est dans une industrie où il y a de la place à la fois pour les gros labels et les tous petits comme le mien. Ce qui est très difficile pour des gens comme nous, c’est que nous sommes parfois représentés par des labels indépendants plus importants. On a beaucoup du mal à se faire entendre parce qu’ils n’ont pas les mêmes problématiques que nous. Et quand je parle de nous, je parle de tous les autres labels de même taille. Après la scène elle-même… Finalement, j’ai un peu de mal à suivre tout ça. Je trouve que d’une façon générale, il y a un niveau musical assez bon. Mais je n’ai pas toujours l’impression que cela se traduise d’un point de vue discographique. Je vois des bons musiciens, des gens intéressants mais ce ne sont pas forcément les plus singuliers qui parviennent à sortir des choses. La plupart des musiciens que je connais et que je respecte sont des gens qui ont beaucoup de mal à vivre de leur musique, à sortir leurs propres productions. Et ils avaient déjà du mal avant la crise du disque. Moi je me considère comme un privilégié ayant une certaine autonomie. Les autres sont très à la marge et n’ont même pas de contrat avec les maisons de disque.
Shebam : Si on te compare à Gainsbourg, ça t’agace ? Cela pose plus globalement la question des références. Du coup, quel groupe ne t’a jamais influencé ?
Bertrand Burgalat : Non, je trouve que cela serait très prétentieux d’être « agacé » quand on est comparé à quelqu’un d’aussi talentueux. Ça serait plus agaçant pour Gainsbourg ou sa famille ! Gainsbourg a eu une influence sur moi comme énormément d’autres choses que je n’aurais jamais cachées. Le plus étrange, cela m’instruit plus sur les goûts des personnes et les rapprochements qu’ils font. Par exemple, je n’ai pas un attrait énorme pour la peinture. Mais si c’était le cas, j’essayerais de me rapprocher de ce que j’aime le plus et ce ne serait pas vraiment évident. Mais cela m’intéresse. Je n’ai pas beaucoup changé ma façon de faire de la musique mais depuis les quinze dernières années, j’ai pu voir à travers les rapprochements faits l’évolution des goûts de tous ceux qui me parlaient d’Easy listening, de Gainsbourg, de Bacharach. J’ai vu les choses évoluer car leur discothèque évoluait. La mienne ne bougeait pas ! Après, je pense que même les choses que l’on n’aime pas finissent par vous influencer. J’essaye d’être le plus franc, le plus exhaustif sur la question des influences. Le seul moyen pour ne pas en être prisonnier, c’est de les afficher. Un des plaisirs de la musique c’est quand même de parler de tout ce que l’on aime, de ce que font d’autres gens plutôt que de parler de ce que l’on déteste dans cette industrie.
Shebam : Ton domaine de prédilection musical semble être l’Easy listening et non le rock à gros son. Alors, plutôt Van Dyke Parks ou Van Halen ?
Bertrand Burgalat : (Rires). J’aime beaucoup Van Dyke Parks mais bizarrement ce n’est pas très loin de Van Halen ! Quand on regarde bien, David Lee Roth a repris California Girls, il a un côté « Entertainment » que je trouve génial : un mec qui faisait du hard rock comme un spectacle. Et puis c’est là où l’on n’est pas loin. Qui produisait Van Halen ? C’était le chanteur d’Harpers Bizarre, un de mes groupes préférés des années 60. Ce quintet de San Francisco a produit la pop la plus sophistiquée qui soit mais n’a pas du tout marché. Pourtant, Ted Templeman est devenu l’un des producteurs les plus en vue : il a produit Van Halen, les Doobie Brothers... C’est là où c’est le plus difficile : de passer de Harpers Bizarre à Van Halen ! Je trouve ça incroyable !
Shebam : les textes de tes chansons sont toujours extrêmement soignés, à forte teneur poétique. Certains sont-ils de ta plume ?
Bertrand Burgalat : Pas sur cet album. Mais en revanche, certains textes ont été écrits sans aucun échange. Pour Double Peine, Elisabeth Barrier m’a envoyé un premier jet en me disant « tiens, j’ai écrit ça ». Elle pensait certainement à moi. Et je n’ai rien touché. Mais il y a des fois où l’on partage des idées, c’est un ping-pong. Cependant, je n’insiste pas pour que cela me ressemble. Avant, j’étais un peu agacé quand je proposais une chanson à un chanteur et qu’il me répondait « ça je ne le sens pas ». Je lui rétorquais « elle est super cette chanson, qu’est-ce tu m’emmerdes ! ». Mais parfois, je me rends compte que je me retrouve dans le même rôle avec des textes superbes pour lesquels je ne pourrais pas faire les choses de façon sincère ; c’est très viscéral au fond. Certes, il y a beaucoup d’allers-retours mais ce sont les auteurs qui gardent la maîtrise du texte.
Shebam : Tu connais la fameuse réplique du Bon, la brute et le truand, « Le monde se divise en 2 catégories… ». Le monde de la chanson française se divise en 2 catégories, ceux qui adulent Brassens et les autres. Et toi dans tout ça ?
Bertrand Burgalat : Moi, je remonte la pelote. Toute la Chanson m’évoquait le monde des variétés. Dans les années 70, lorsque j’avais entre 7 et 17 ans, c’était ce que l’on voyait le samedi soir à la télé. Puis, mes aprioris sont tombés au fur à mesure, les uns après les autres, grâce notamment à certains chanteurs qui étaient plus près de la pop comme Gainsbourg ou Polnareff. Après, on va chercher un peu plus loin. Je suis passé alors à Vassiliu que j’aimais déjà puis à Caussimon, à Ferré. Là, j’en suis à Reggiani. Brassens, c’était pour moi le monde des parents, des profs ; il y avait un côté presque « chanson officielle ». Et je trouve cela injuste. Je n’écoute jamais de chansons de Brassens chez moi mais j’ai envie d’aller vers ça, de passer outre cet apriori. Car je sens que les textes et les mélodies sont formidables. Mais au départ, ce style de chanson fait peur. J’ai toujours peur que les textes soient privilégiés au détriment de la musique. Alors que ce n’est pas le cas avec quelqu’un comme Ferré. Ferré a fait dans les années 70 des disques d’une perfection au niveau des arrangements, d’une richesse incroyable. Et je me suis rendu compte que c’était plus compliqué. Ces jours-ci, j’ai essayé de rependre au piano une chanson de Reggiani, Parler d’amour. Je ne sais pas qui l’a arrangée car je l’ai achetée sur iTunes et il n’y a pas les crédits. Je pense que c’est Goraguer. C’est formidable, formidable ! En tout cas, en musique je trouve délicieux tout d’un coup de découvrir que l’on peut aimer quelque chose que l’on croyait ne pas aimer. Je voudrais vraiment aimer Brassens alors qu’avant je n’en avais pas envie.
Shebam : Tu as déjà rencontré Charles-Baptiste, jeune auteur compositeur de variété française ou de pop variétale, c’est selon. As-tu acheté son Ep, Premiers aveux ?
Bertrand Burgalat : Non. Je ne savais pas qu’il était en vente. Non, mais je vais le faire.
Shebam : Il est disponible depuis une dizaine de jours.
Bertrand Burgalat : Ah forcément, je ne pouvais pas savoir car autrement je l’aurais acheté. Il m’est très sympathique. On s’est rencontré une fois, je l’ai trouvé très bien. Je vais l’écouter avec plaisir !
Shebam : Longtemps tu as fait figure de pygmalion. As-tu dans ton écurie des talents cachés dont tu souhaiterais parler ?
Bertrand Burgalat : Un petit label soit c’est un auxiliaire, un supplétif de l’industrie : une structure qui est là comme un petit club de foot pour recruter pour les gros et je comprends tout à fait cette démarche. Mais moi je ne m’en sens pas capable parce que je n’ai pas ce truc qui est de dire « ah vous avez cela qui marche, on va faire la même chose ». De fournir comme ça en sous-traitant. Notre rôle c’est au contraire de nous intéresser aux personnes que l’on trouve pertinentes, importantes et qui, non seulement, n’ont pas rencontré le public mais ce qu’il y a entre l’artiste et le public : c’est ce qu’il y a de plus difficile à bouger. Le grand public ressent les choses de façon assez viscérale. La musique, ça lui plait ou pas. La règle du jeu est assez simple. Mais entre quelqu’un qui fait de la musique et le public, il y a tout un monde à convaincre et qui, finalement, est moins instinctif. Nous, on essaye d’aider les artistes à ce moment précis et on n’est pas très bon. C’est pour cela que l’on ne signe pas beaucoup de gens. Ils risquent d’être déçus. Commercialement on a beaucoup de mal à faire exister nos productions dans les magasins, à passer en radio. On n’est pas des rois dans cette discipline. Mais en même temps, quelqu’un qui vient me voir en disant « j’ai déjà un autre label qui est intéressé », je lui réponds « allez-y tout de suite ». Avec nous, ça ne sera pas ultra confortable, on n’aura pas forcément des résultats incroyables.
Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu dans un disque ?
Bertrand Burgalat : Je n’en sais rien. Je ne connais pas d’île déserte en fait ! Quel disque j’emporterais dans une île ?...
Shebam : Nan, quelle île, quel endroit ?
Bertrand Burgalat : C’est bien ça ! Je ne sais pas. Je ne suis pas un très grand voyageur, mais il y a des îles que j’aimerais visiter. J’ai des fantasmes que je ne réalise jamais : j’aimerais bien aller aux îles Scilly. C’est au large de l’Angleterre. Grâce au Gulf Stream, on y trouve une végétation subtropicale. Et ça me paraît complètement dingue de découvrir au large de Bristol un endroit aussi luxuriant avec des palmiers. J’aimerais bien aller aussi aux Açores et à Madère. Ce sont des îles comme ça qui m’intéresseraient. Je ne sais pas si cela répond à la question.
Shebam : C’est une question extrêmement ouverte. Toutes les réponses sont donc validées. On inverse les rôles. Pose-moi une question.
Bertrand Burgalat : Héhé… Le problème, c’est qu’il m’en faudrait une vingtaine. On ne se connaît pas et j’ai trouvé toutes tes questions intéressantes. On sent que tu as une connaissance de la musique et de ce que je fais. J’aimerais bien en savoir plus, d’où sors-tu, ce que tu as fait ?
Shebam : Vaste sujet. A la base, je suis créatif dans une agence de pub. Ça c’est la partie officielle. Et en sous-terrain, je suis Adehoum Arbane, pseudonyme sous lequel je signe tous les articles de mon blog. Cela fait en gros vingt ans que j’écoute de la musique. J’ai un rapport très particulier à la musique car j’ai commencé mon apprentissage dans les années 90. A l’époque, tout le monde écoutait Nirvana, les Pixies. Moi, ça ne m’intéressait pas du tout (rires) ! Je préférais les années 60. Mon premier disque, c’était les fameuses Peel Sessions d’Hendrix enregistrées en 67 à la BBC.
Bertrand Burgalat : Pas mal !
Shebam : Ça a été LE disque qui m’a ouvert les portes d’un nouveau monde avec des artistes comme les Beatles, les Stones, les Doors, les Small Faces, Soft Machine et le rock allemand bien sûr. Et comme j’écrivais beaucoup, un jour je me suis interrogé : j’aime la musique, j’aime l’écriture, est-ce que je ne peux pas créer quelque chose autour de ça. Et je me suis lancé dans cette aventure qui a donné naissance à Shebam Blog Pop Wizz.
Bertrand Burgalat : Je ne connaissais pas ton blog. Ça m’a donné envie de le lire.
Shebam : Attention, c’est une niche ! Parce qu’il y a un petit public qui me suit depuis quelque temps. Mais voilà. Comme pour toi avec ton label, je cultive une certaine liberté : je choisis mes sujets, les artistes dont j’ai envie de parler.
Bertrand Burgalat : Moi je trouve les forums en général épouvantables : c’est une sorte de lettre anonyme ouverte. C’est une démarche avec laquelle j’ai du mal, genre les mecs qui mettent « MDR », des conneries comme ça ou bien des commentaires rapides. Je trouve le bon blog assez génial. Il y au fond cette subjectivité qui est le plus intéressant : j’ai écouté telle chose, voilà ce que j’en ai pensé. Et ce sans avoir aucun arrière-plan. Et ça, en tant que lecteur, ça m’intéresse. Je trouve cela même plus passionnant quand les gens ont des goûts extrêmement différents des nôtres. Voir ce qu’ils comprennent, comment ils perçoivent ça. Cela donne souvent envie d’aller écouter des trucs que l’on aurait boudé. Et moi, j’aime bien ça. Je vais regarder.
Shebam : Et du coup, l’une de mes premières interviews fut celle de Peter von Poehl.
Bertrand Burgalat : Ah ouais ?!
Shebam : C’était à l’occasion de la sortie de son deuxième album. Nous nous étions rencontrés dans une église du 18ème arrondissement.
Bertrand Burgalat : J’aime beaucoup Peter. Il joue sur l’un des morceaux. Il a fait une deuxième guitare sur Double Peine.
Double peine mais rien de perdu. L’échange est dans la boîte. Une fois le matos remballé, nous quittons les lieux, album en poche et souvenirs plein la tête. Dans la rue presque ensommeillée résonne alors l’écho de nos discussions passionnées à propos de cette rencontre, de l’album qui s’apprête à sortir, des photos intimistes, impressionnées sur les plaques sensibles de l’appareil. Les commentaires fusent délaissant leur tour ombilicale, nous les propulsons dans l’atmosphère. Au bout de quelques minutes, les échanges sont tels que nous ne savons plus où nous sommes ni où aller. Dans quelle direction ? MAIS TOUTES !
Photo by Marielle©
Toutes directions, sortie le 16 avril
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