Sans pop, pas de hip hop.
Certains l’affirment depuis quelque temps : le hip hop ou rap, pour être plus précis, serait la pop des nouveaux temps. Idée folle mais ô combien séduisante. Ce genre né dans la rue peut s’honorer d’avoir vu ses héros devenir des légendes vivantes : Jay-Z, Kanye West comptent parmi ceux qui repoussèrent les frontières du rap, enluminant leurs disques de maint arrangements. Le destin sut les récompenser ; comme d’autres, les deux rappeurs accédèrent très vite au statut rêvé, mythifié de la pop star. Là pourrait s’arrêter la proximité entre les deux genres. Pop et hip hop, frères égaux ? Remettons les choses dans l’ordre.
La pop, creuset de la culture musicale contemporaine.
Un débat explosif auquel aurait sans aucun doute adhéré ce bon vieux Lester, lui qui osa traiter Morrison de clown bozo : sans pop, pas de hip hop. L’assertion bouscule, irrite sans doute par son caractère belliqueux, incongru. Le rap n’est-il pas friand de Battle ? Qu’il accepte alors de se frotter… A la réalité. En de nombreux points, le hip hop n’aurait pas existé sans les Beatles ou plus globalement sans la pop des sixties. Outre le fait qu’elle inventa bien des genres, qu’elle promut bien des écoles, il y a des faits. Et les faits sont têtus. Parce qu’avérés. Née du rock’n’roll, lui même enfanté par les maîtres noirs du blues, la pop se singularise d’abord par un brassage des influences. Au mitant des années soixante, on appelle pop music l’ensemble des styles, soul, psyché, prog, folk, acid folk, garage, hard rock et aujourd’hui le rap, à la base d’une nouvelle communauté ; la jeunesse. Ainsi, aucun musicien n’arrivait à se reconnaître dans une seule et même famille comme devait l’affirmer le guitariste soliste de Black Sabbath : « le hard, ce n’était que de la pop music ». Au cœur de la culture rap comme de la pop, dont les premiers architectes furent les Beatles et les Kinks en Grande-Bretagne, les Beach Boys aux USA, la chanson. Pour la pop, on pense refrain, côté rap on ne jure que par les punchlines. Dans les deux cas, la musique se doit de frapper les esprits. Chez les rappeurs, la pauvreté d’une vie, loin des grands centres villes où règne en maître une bourgeoisie blanche, et la haine chevillée au corps vont très vite teinter leurs textes de déflagrations poético-politiques. Un peu comme les singer-songwriters et leurs protest-songs : merci donc à Dylan, pour ne citer que lui (que l’on qualifia d’icône pop aux côtés des quatre de Liverpool). Ainsi, la même urgence relie les petits frères noirs des ghettos à leurs aînés en chemise à jabots. Le format pop, court, incisif, percutant, sera leur arme principale. Autre point de convergence, la production. Si l’on écarte la définition de maintream, la pop incarne la forme la plus complexe de la musique populaire. Par son ambition permanente, son exigence stylistique, elle s’est durablement installée dans les esprits, inspirant des générations d’auditeurs et de musiciens, les premiers prenant parfois les habits des seconds. Même s’il peut sembler plus brutal, le rap s’employa à mener le même ouvrage de miniaturiste musical. Jusqu’à reprendre des pans entiers de mélodies, méthode qui trouva son propre nom : le sample. C’est sans doute cet aspect du rap qui demeure le plus discutable aux yeux des spécialistes. Certes, les rockeurs des sixties ne furent pas les derniers à « sampler » pour ne pas dire piller d’autres artistes. Led Zeppelin reste l’exemple le plus connu malgré son aptitude réelle à transcender le matériau initial. S’agissant du rap, les passages sont repris, mixés à d’autres pour constituer une trame « nouvelle » et cohérente. Et pourtant. Ainsi, le rap n’aurait pas pu exister dans sa forme la plus aboutie sans ces emprunts salutaires. Autre clé d’analyse, la territorialité. Durant les premiers âges de la pop, les villes s’affrontaient par l’entremise de leurs groupes ; on parlait alors de scènes. Londres vs Liverpool, Carnaby Street contre Muswell Hill. Idem de l’autre côté de l’Atlantique. L.A. où le professionnalisme est roi fait la guerre à San Francisco l’excentrique (et surtout la lysergique). Quant à la grosse pomme, c’est l’éternelle rivale. On pense déjà East Coast versus West Coast. Avec des qualificatifs identiques aux scènes rap actuelles. A NYC, on pratique un rock (rap) brutal, urbain, âpre et violent. En Californie, les choses sonnent plus cool, détendues, aquatiques. L’air marin, me direz-vous. La logique des territoires se fonde aussi dans la guerre des gangs que les rockeurs avaient déjà inauguré en mode… Mods ! Pour ne citer qu’eux. Je passe aussi sur le graffiti qu’on trouvait déjà sur tous les murs de Londres, entre 66 et 67 ; souvenez-vous le fameux « Clapton is god ».
Synthèse.
Par ses aspects les plus fondamentaux, structure, production, storytelling, le hip hop peut prétendre à l’appellation de pop des temps modernes. Mais sans la vision de ses ainés anglo-américains, la messe n’aurait sans doute pas été dite de la même manière. D’où une certaine humilité que beaucoup de stars du rap ont du mal à adopter aujourd’hui : derrière les quelques artistes « inspirés », combien d’exemples grossiers de blaireaux en hummer, faisant du bling-bling, de l’argent roi et de la misogynie des armes de déstructurion massive. Allez Kanye, sois gentil : remballe ton baggy, ta casquette, tes poses de bad boy en plastoque et ton sobriquet façon alter ego de Barbie et prosterne-toi devant Mc McCartney.
http://www.youtube.com/watch?v=0UjsXo9l6I8
http://www.youtube.com/watch?v=Q7_jbluF0qo
http://www.youtube.com/watch?v=Bm5iA4Zupek
Le premier rap de toute l’histoire de la pop :
http://www.deezer.com/fr/music/track/3122661
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