Mais où donc nous mènera cette foutue mondialisation ? Prenez le cas de Gotye (prononcez Gauthier). Pas vraiment Jean-Paul, le bonhomme. Pour tout dire, nous avons affaire à un australien né en Belgique, parlant couramment le japonais et surtout dépositaire d’une pop synthético-contemporaine chantée en anglais. Bigre ! On aurait pu croire à une blague. Belge. Non. L’homme, multi instrumentiste savant, bluffe son petit monde, hors des frontières balisées de son pays et plus globalement de la pop, avec un troisième album d’un foisonnement sans précédent. Sorti dans l’indifférence estivale et moite de l’année 2011, entre deux sommets européens et trois annonces de plan de rigueur, Making Mirrors nous arrive aujourd’hui par l’entremise d’un buzz pour une fois à la hauteur de la musique.
Revue de détail.
Mes amis, le rock critique exulte en ce jour d’hiver timide. Nanti de douze titres variés et parfaits, Making Mirrors est ce que l’on appelle dans le langage « LOL » une véritable tuerie. Enchaînant les tubes en puissance et les morceaux plus élaborés, Gotye s’impose d’emblée comme LA sensation musicale du moment. Mais attention ! N’y voyez-là aucun effet de mode : le musicien, par la qualité de ses chansons, ambitionne de s’inscrire dans le Temps ce que le spécialiste ès pop confirme ici. On aurait pu être dérouté par l’aspect fourre-tout de l’album et l’ensemble des familles du rock convoquées par le maître. Il n’en est rien. Pour rendre cohérent un tel brassage, il fallait un trait d’union. Un point d’encrage pour l’auditeur qui fixe l’œuvre dans la vérité de l’instant. Ainsi, Gotye avait les chansons, les mélodies, il a dorénavant un son. Toute la force de l’album réside dans cet apsect. Ô combien essentiel. Notre artiste polyglotte (dans tous les sens du terme) s’affirme comme l’égal de Danger Mouse, aussi inventif, précis, maniaque mais avec le matériau qui manquait parfois au fameux producteur new-yorkais, tête pensante de Gnarls Barkley : les compos. L’entame du disque relève du cas d’école : en deux chansons courtes, entêtantes, Making Mirrors/Easy Way Out et Eyes Wide Open, le ton est donné. Fraîcheur et nouveauté. Et tout cela, en usant parfois de vieux ressorts comme cette fuzz qui ouvre le bal d’Easy Way Out. Les synthés, jouant le rôle des percussions, et la fin coupée malicieusement placent le titre dans le style de la nouvelle décennie. D’autant que le multi instrumentiste enchaîne sur un thème parfaitement écrit/produit. Avec Somebody That I Used To Know et Smoke And Mirrors, pièces maîtresses de cette première face, Gotye fait la synthèse entre les grandes machineries contemporaines et les arrangements classiques, arpèges de guitare, harpe en cascade, cuivres presque aigus. Ces deux titres forment un diptyque complexe, écheveau de sonorités mis bout à bout avec la méticulosité d’un véritable orfèvre. Précédée d’une intro en forme de péplum, I Feel Better prend les atours de la soul song efficace sans jamais sombrer dans le pastiche. Gotye s’y révèle un interprète inspiré, un chanteur de haut rang dans la droite lignée de Steve Winwood. Fin de la première partie qui nous laisse heureux mais lessivé.
Part II, talent à facettes.
Avec son entame nerveuse, In Your Light irradie cette deuxième partie d’album. Là encore, on est subjugué par la production ultra fouillée, faite de strates successives, guitare, basse, orgues, cuivres atteignant ici un équilibre remarquable au moment où la voix explose littéralement. Couplets et refrain s’y insèrent à merveille montrant que l’ensemble est sous contrôle. Save Me ajoute à la track list un single de plus, aussi impétueux que réussi là où Don’t Worry We’ll Be Watching You, Give Me A Chance et Bronte explorent une veine plus introspective au bord parfois de l’électro minimale (Don’t Worry We’ll Be Watching You). Fin de l’opus et de l’article ? Non, revenons au huitième titre, second de cette face B. State Of The Art. Sans doute la composition la plus étrangement fascinante de Making Mirrors. Ce qui n’est pas peu dire bien évidemment. A mi chemin entre le reggae, le dub step et la pop, avec ses cuivres gras, sa voix passée au vocoder, son farfisa malin, surgit de nulle part, et son refrain samplé, la chanson résume, à elle seule, tout le savoir-faire de Gotye. State Of The Art, c’est du jamais entendu ! Un constat implacable tant son pouvoir sur l’auditeur, tel le côté obscur de la force, est total. D’autant que le titre signifie le plus haut niveau de connaissance atteint dans le domaine scientifique. Non sans malice, le jeune songwriter montre qu’il a passé un cap. Il serait temps que le microcosme musical, la presse et les consommateurs de musique s’en rendent compte et témoignent en retour à l’artiste toute la reconnaissance qu’il mérite. Car une chose est sûre : on avait rarement trouvé dans un disque pareil équilibre entre accessibilité et sophistication. La ménagère de moins de cinquante ans devrait apprécier.
http://www.deezer.com/fr/music/gotye/making-mirrors-1382596
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