Jonathan Wilson, Gentle Spirit

par Adehoum Arbane  le 06.12.2011  dans la catégorie A new disque in town

L’orthodoxie folk est-elle enfin révolue ?

On entend habituellement par folk l’ensemble des musiques populaires traditionnelles. Ces chants prennent le plus souvent source dans les folklores de l’ancienne Europe, Irlande, Ecosse, Bretagne ; des confins obscurs en vérité ! Le folk n’a jamais pu se départir d’un certain mystère. Mais revenons à l’histoire. Alors que l’Angleterre se berce de traditions immémoriales, le folk vit en Amérique une salutaire incarnation. Sous la houlette des singer-songwriters, le genre prend alors des tonalités plus politiques : voici venu le temps des protest-songs. Les paroles, empruntes de poésie, se veulent le reflet des nouvelles réalités sociales qui transforment le pays. Ces nouveaux héros ont une place forte : l’Est Village au cœur même de New York. Ce croisement entre Bleecker et McDougal que l’on découvre sur la pochette du premier opus de Fred Neil forme le grouillant repaire de la bohème folk. Grouillant mais aussi bouillonnant. Ici naissent les idées qui vont bouleverser la pop naissante. Alors que les maîtres du folk se murent dans l’impasse de l’orthodoxie, un jeune lutin à la chevelure électrique fomente l’une des plus fascinantes révolutions des sixties. Le 25 juillet 1965 au festival de Newport, devant un public de fidèles, le jeune Bob Dylan électrifie sa formation. C’est l’un des plus beaux scandales de la décennie. Sans le savoir, Dylan a ouvert une brèche, dresser un pont entre deux cultures. Folk et rock ne font plus qu’un.  De nouveaux groupes s’emploient à propager cet évangile ; les Byrds demeurent le plus fameux.

Quelques 35 années après…

Le folk connaît une renaissance au travers de groupes prometteurs. Qu’ils s’appellent Iron & Wine, José Gonzalez, Greg Weeks avec ou sans Espers, Nick Castro, Six Organs Of Admittance, tous sont des croisés de l’ancien temps. Mais l’histoire ne fait que se répéter. Jonathan Wilson fait partie du sérail. Avant d’enregistrer sous son propre nom, il se pose en homme de l’ombre, officiant sans relâche dans le réduit géant de son super studio. Il en fait le laboratoire de ses expérimentations, d’abord au service des autres, à commencer par le prodigieux Bonny Prince Billy, puis pour lui-même. L’homme qui a attendu son heure décide de prendre son temps. Il amasse alors un nombre considérable de compositions qu’il peaufine ensuite dans le respect des règles d’enregistrement qui prévalaient durant les années 60. Eté 2011, il sort son deuxième opus Gentle Giant après Frankie Ray, Pretty and Black (2007). Mais Wilson se joue insidieusement des codes. Et de fait remet en question l’orthodoxie d’un genre musical qui avait fait de la guitare acoustique le véhicule trop parfait d’une esthétique certes réelle mais discutable. Loin d’évoluer dans un paysage musical austère, minimal, Jonathan Wilson distend les frontières intellectuelles et s’affranchit du temps au sens le plus strict. Ses chansons dépassent pour la plupart la barre symbolique des cinq minutes. Dans ce nouveau cadre, le musicien se sens à son aise et n’a de cesse de construire des édifices résolument complexes. La révolution tient dans un parti-pris qui contribue pour beaucoup à la magie du disque : la fée électricité. Sous ses doigts, les sons se font soyeux, élastiques, d’une limpidité telle que l’on songe à ce psychédélisme badin dont rêvait Gram Parsons. Mais c’est plutôt du côté de Gene Clark qu’il faut loucher : l’ancien guitariste des Oyseaux a connu une carrière solo discrète mais depuis quelque temps saluée. Nombreux sont les points communs entre No Other et Gentle Spirit. Le même goût pour un certain mysticisme, pour ses tapisseries mélodiques portées par claviers et percussions, pour cette manière très solennelle de chanter comme si chacun des deux musiciens avait voulu sortir littéralement sa voix pour la faire naître sur un lit d’étoiles argentées. Venons-en aux chansons, toutes aussi singulières les unes que les autres.

13 chansons éthérées.

Quelques titres phares se détachent même si tous brillent par l’excellence, le soin et l’authenticité apportés par leur géniteur. A commencer par la chanson titre Gentle Spirit. Débutant dans une suspension de notes égrenées au piano, comme un standard de jazz, la composition se poursuit dans des arpèges acoustiques installant le thème que des nappes de mellotron viennent alors caresser. Les minutes suivantes consacrent la guitare du jeune soliste, perdue parfois dans l’éther du refrain. Superbe. Patibulaire, le songwriter empoigne sa guitare acoustique pour tisser une ballade lymphatique aux accords solaires (Can We Really Party Today). Là encore, la dilatation du temps installe littéralement la chanson qui s’ébroue lascivement. Orgue et chœurs fraternels transforment le titre en chorale hippie dans un grand final flamboyant. Desert Raven, premier chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre. Tout le génie de l’auteur tient dans ce jeu de fausses pistes qui ouvre le morceau : un brouillard de synthétiseurs aux accents progressifs presque douteux. Erreur ! C’est une guitare cristalline qui s’immisce dans ce tableau robotique brisant son ordonnancement comme si les valeurs ancestrales voulaient faire oublier cette diabolique modernité. A y prêter l’oreille,  on perçoit les influences lumineuses d’artistes comme Santana période Abraxas ou le trop méconnu Merrell Fankhauser période Mu. La voix doucereuse de Wilson s’enlace autour de la basse, énorme, enrobée une fois de plus de mellotron. Un poème californien comme l’avait été Dark Star en 1969. Le jeu de guitare du jeune musicien doit beaucoup à Jerry Garcia, RIP. Suivant la même logique, Canyon In The Rain reprend l’architecture de Can We Really Party Today. Zélateur d’un psychédélisme naturaliste, Jonathan Wilson nous éblouit avec Natural Rhapsody, suite très logique du Natural Harmony des Byrds. Notes planantes, entrelacs électriques, miroir d’une paix intérieure, d’une spiritualité qui n’a rien de toc ; nous n’avons pas affaire là à un rock estampillé bio mais à une œuvre qui en dépasse largement le concept originel pour se rapprocher des esprits (le titre de l’album) dans une messe musicale à laquelle la tête engourdie ne peut résister. Si Ballad Of The Pines renoue avec un folk plus cardinal, les deux morceaux suivants prennent les atours d’une bacchanale californienne, jazzy sur The Way I Feel, baroque sur Don't Give Your Heart To A Rambler qui étrangement nous rappelle le travail du français Syd Matters. Woe Is Me et Waters Down fascinent par leur beauté incantatoire. Au-delà des aspects les plus fondamentaux de la production, les chansons sont totalement incarnées par leur auteur. Dimension chamanique, tribale, indienne. Rolling Universe joue pour sa part la carte de l’intime, de l’homme en phase avec l’univers comme il semble le chanter dans les premiers vers. Magic Everywhere par sa mélodie et son thème constitue l’un des moments clés du disque, pétri de mystique. Loin de toute démonstration de virtuosité, Jonathan Wilson se libère de tous les carcans pour exprimer une émotion si forte qu’elle emporte définitivement l’auditeur. Gentle Spirit s’achève comme il a commencé : dans les détours du temps où l’artiste se perd à l’infini, en mirifiques rêveries. Valley Of The Silver Moon s’étend comme un horizon sans fin, jam cosmique pour une fois réussie ; Dieu sait que l’exercice fut souvent l’occasion d’enfanter des monstres boursoufflés. Ici, on pense immédiatement à Hendrix, cette vallée lunaire aurait pu figurer sans problème dans First Rays Of The New Rising Sun. Loin, bien loin de toute orthodoxie.

Comment finir un article pour un album qui ne finit pas vraiment ?

Ah oui, j’oubliais : j’aurais pu évoquer le lieu où l’album a été enregistré comme tous ceux qui se sont limités à lecture du dossier de presse. Laurel Canyon qui a tant inspiré les poètes du rock : ces enfants du rêve californien, les Carole King, James Taylor, CSN&Y, Phil Ochs et son fameux Tape From California et j’en oublie. Nous aurions pu aussi citer cette pièce rapportée d’Angleterre, John Mayall qui avec son Blues From Laurel Canyon porta le genre vers des sommets plus limpides. Mais était-ce vraiment nécessaire ?

Jonathan Wilson, Gentle Spirit (Bella Union)

BELLACD294.jpg

http://www.youtube.com/watch?v=V4PiINa5Im8&feature=related

http://www.deezer.com/fr/music/jonathan-wilson/gentle-spirit-1175989

 


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