Pour évoquer la sortie très officielle et tant attendue de SMiLE des Beach Boys, tel qu’il fut pensé par Brian Wilson, petit génie cramé de la pop, j’aurais pu vous faire le coup de…
1/L’œuvre maudite, nouveau concept dans la tradition des poètes du même nom : le poète maudit, ce mal aimé qui fourbit en secret son Grand Œuvre que la critique s’emploie à bouder, quand elle ne l’ignore pas tout simplement.
2/La cuvée qui se bonifie avec la temps, de ces flacons qui avec les années gagnent en arômes, en maturité, se complexifient pour tendre au bout de quelques décades à la perfection absolue. Sauf que les lois de l’équité libérale ont permis à SMiLE d’échapper à la spéculation qui prévaut dans la production viticole mondiale. Ouf !
3/Plus c’est long, plus c’est bon : le rapport du temps au plaisir, ou dans un tout autre registre la question de la taille comme vecteur de jouissance. L’opus en question par sa dimension conceptuelle et spirituelle dépasse largement tout ce que l’on pouvait attendre. Voilà pourquoi les fans sont aujourd’hui au comble du bonheur extatique.
4/La maxime qui horripile tout le monde par son aspect le plus lénifiant : du genre, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. Merci Jean de La Fontaine. Car notre patience elle fut largement éprouvée. SMiLE, objet de tous les désirs, un fantasme à lui tout seul au point de devenir l’album inachevé le plus célèbre de toute l’histoire de la pop.
Passons ces formules toutes faites, place à la Création.
Création, le mot est lancé. SMiLE, une Genèse, celle de la pop. Pet Sounds était l’ancien testament, SMiLE sera le nouveau : une « symphonie adolescente adressée à dieu ». Rien que cela. Quarante quatre années séparent les premières sessions de la sortie définitive. S’il faut démêler le génial de l’inutile, la version extra large du coffret offrant moult versions des 17 compositions sans oublier les prises séparées qui laisseront l’auditeur largué s’il ne peut se prévaloir d’un diplôme de musicologie. Bref, le meilleur demeure la version première de l’album que nous découvrons aujourd’hui d’une traite (le CD numéro 1). Mais revenons au début.
Début et prémices.
Dans la compétition (imaginaire) qui l’oppose aux Beatles, Brian Wilson veut franchir un cap : délaisser les tubes surf un brin naïfs pour livrer une musique plus accomplie. 3 décembre 1965, les quatre de Liverpool bousculent les codes de la pop avec Rubber Soul. De l’autre côté de l’Atlantique, Brian Wilson aussi attentif qu’admiratif prévoit déjà sa riposte. Fin 65 début 66, il pose les bases de ce qui deviendra Pet Sounds. Au fil des compositions, l’album narre la relation tumultueuse symbole du passage délicat de l’enfance à l’âge adulte. Faisant montre d’une cohérence totale, d’une sophistication rarement atteinte dans la production d’un album pop, Pet Sounds s’impose comme un ineffable chef-d’œuvre. Mais patatras ! Les Beatles ont balancé entre temps une bombe appelée Revolver. Déflagration immense dans le microcosme du rock occidental ! Pas décontenancé, Brian voit (plus) grand. Comme pour les Fab Four avec Strawberry Fields Forever, les Beach Boys commencent par entrer en studio pour enregistrer Good Vibrations. Cloitrés pendant près de 6 mois (un record pour une chanson de trois minutes quarante), le groupe multiplie et superpose les prises. Rien n’est trop beau (trop fou) pour la tête pensante du groupe, Brian Wilson. Le morceau sort le 1er octobre 1966. C’est un succès phénoménal dont la fluidité cache les idées les plus extravagantes qui soient comme l’utilisation du Theremin, premier instrument électronique de l’histoire de la Muzak. A la base de ce foisonnement créatif, un ingrédient qui causera la perte de Brian : l’acide. A l’époque, nombreux sont les artistes à associer le LSD à leur processus créatif. Si les portes de perception sont bel et bien ouvertes, elles se referment toutes sur un enfer mental dont peu sont arrivés à s’échapper. Les exemples de ces âmes perdues, l’histoire du rock en compte par dizaines. Le plus célèbre étant Syd Barrett. Boosté par la foi en sa Musique et les drogues, Brian Wilson compose la trame de SMiLE avec une indicible joie, une illumination béate. Déjà, les titres s’amoncèlent : Wonderful, Wind Chimes, Surf’s Up, sans doute sa plus belle chanson avec God Only Knows. Mais les premiers effets maléfiques du LSD se font sentir, le projet traine, le génie devenant alors irascible. Usé par les séances, le groupe lâche prise. Alors que la pression de Capitol commence à se faire sentir, le cerveau perfectionniste sombre dans la dépression : malgré les 40 000 pochettes imprimées, et la publicité, le projet SMiLE est abandonné. Pour enfoncer le clous dans la tombe, les Beatles balancent le coup de grâce (dans tous les sens du terme) : Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band. Exit le Sourire.
Laisser du temps au temps.
La formule mitterrandienne aura sans doute offert à Brian Wilson une sorte de rédemption. Les décennies vont lui permettre de se purger de ses vices acidulés pour reprendre progressivement pied. Soutenu par le musicien geek, Darian Sahanaja, Brian Wilson à cinquante deux ans entre en studio pour graver sa propre version de SMiLE. Il finalise l’écriture de ses chansons et les enregistre en laissant de côté les pistes originales. Un nouveau départ en somme. Cette méthode lui portera chance. Car si la réalisation respecte les techniques de l’époque, les thèmes eux gagnent en fraîcheur. Le résultat est une totale réussite. Comme pour parachever l’œuvre et finir l’histoire, le groupe se réunit à nouveau et c’est dans la concorde qu’il assemble et mixe les toutes premières pistes de 67 pour livrer 40 ans plus tard LA mouture probablement unique de SMiLE. A l’écoute des morceaux, la comparaison avec le millésime 2004 semble inévitable. On pourrait chipoter, préférer telle interprétation à l’autre. Mais l’attente n’est pas déçue. On prend un réel plaisir à redécouvrir ces chansons parfaites dont la production demeure fascinante à plus d’un… titre AHAHAH… Déjà inspiré par le Wall of Sound de Spector sur Pet Sounds, Brian se l’approprie et le pousse jusque dans ses ultimes retranchements sur l’ensemble des compos. Quant aux arrangements, ils touchent au sublime portés par un mix déconcertant : il s’agit bien là du Chef-d’œuvre tant attendu ! Seul petit reproche, le segment Look (Song For Chidren)/Child Is Father To The Man délestée de ses paroles perd en intensité… Surtout si on le compare à l’enregistrement de 2004. Mais bon, ne boudons pas notre plaisir. Même imparfait, SMiLE subjugue par son audace, ses partis-pris et son étonnante modernité qui lui a permis d’échapper (sans aucune ironie) aux ravages du Temps. Comment ne pas se laisser toucher par la majesté de chansons du calibre de Heroes & Villains, Vega-Tables, Cabin Essence, Do You Like Worms (Roll Plymouth Rock), le wyattien Love To Say Dada ; éternels classiques dans nos cœurs. Et puis, c’était sans compter sur la magie enfantine de l’artwork signé Frank Holmes. Bref, après 40 ans à poireauter sévère, on affiche le SMiLE.
Épilogue.
Sourire, certes, voilà qui constitue une belle promesse. Et pourtant un sourire étrange, teinté de frustration. Car cet ensemble homogène bien qu’incomplet ne sera jamais l’album promis par tous les slogans de l’époque. L’exercice de Capitol, je veux parler des Sessions enfin éditées, était nécessaire ; salutaire même. Au fond, le vrai SMiLE, enrichi, réenregistré, achevé, on le doit au seul Brian Wilson, génie repêché en l’an de grâce musicale 2004. Désormais, la vie de Brian est comblée. Cela tombe bien, la nôtre aussi.
The Beach Boys, The SMiLE Sessions (Capitol)
http://www.youtube.com/watch?v=fvB0glRsolw
http://www.youtube.com/watch?v=ptxwWt2JeGQ
http://www.youtube.com/watch?v=Sv2_JLAOUPU&feature=relmfu
Commentaires
Il n'y pas de commentaires