La grande affaire de ces dix dernières années tient en un mot froid mais bien réel : la segmentation. Il fut un temps, ne l’ai-je pas assez crié, où, rock et pop s’étant épousés, l’auditeur pouvait passer du psyché à la soul, du jazz au hard, du prog à la country, du glam à la musique indienne sans générer au plus profond de lui un bug cérébral. Les temps ont changé. Aujourd’hui, les blacks écoutent du hip hop, les beurres se tapent du raï, les filles font des œillades à la pop chantée par d’autres filles, quant aux punks à chien, ils continuent de s’écouter frapper leurs djumbés ignobles, étonnamment peu punk en vérité. Il faut choisir ton camp camarade. Combien de fois aurais-je entendu cette sentence crétine, d’autant que le confort de ma vie bourgeoise semble bien loin de faire de moi un « camarade ». Mon camp ??? Bah, celui de la Musique, de la bonne quoi. Que cette musique sonne rock, soul, hard, folk ou tout cela à la fois, au contraire. Vous comprendrez donc que la segmentation ne fait pas partie de mes valeurs. Certes on ne peut pas tout aimer, et je suis le premier à chier sur bien des genres qui me laissent pantois de consternation livide… Comme le rap ou le reggae. Libre à ces styles d’exister mais si possible loin de mes oreilles. Comme moi, le duo de Girls n’a pu se résoudre à choisir son camp. C’est un peu l’impression que l’on se fait en écoutant leur troisième album, Father, Son, Holy Ghost, en fait le deuxième, la précédente livraison étant un EP. Loin de toute velléité catégorielle, Christopher Owens et Chet « Jr » White revisitent en onze titres tout ce qu’ils ont aimé dans le rock depuis ses premiers âges. Ils le font avec d’autant d’honnêteté que le résultat peu parfois dérouter, dans son équilibre parfaitement bancal. Ici, tout est abordé : pop, soul, folk, rock planant, hard, surf music. On en a pour son argent. Mais plus important : Father, Son, Holy Ghost apparaît comme un authentique album à solo. Hé ouais, on n’avait pas entendu cela depuis longtemps. Oh certes, cet avatar des années 70 qui avait donné naissance au fumeux concept de jam session avait alors déserté les microsillons des productions rock. Tout cela avait commencé par le punk. Moins on en disait, moins on en faisait, plus c’était rock’n’roll. Et puis les années 80 imposèrent le synthé, reléguant la guitare aux oubliettes de l’histoire rock. Pas rancunier, la six cordes attendit son heure. Le grunge allait la réhabiliter et de quelle manière. Merci à feu Kurt au passage. Dans les 90s, les guitares s’époumonent. Ça crache dans tous les sens, sur disque comme su scène et paf, on se tape l’Euro Dance en pleine poire. Exit la guitare. Le nouveau millénaire point le bout de son nez et avec celui d’un combo arty de New York City. Les Strokes ont remis l’électricité au goût du jour. Perso, elle n’avait pas vraiment fait des infidélités à mes esgourdes. Le problème, c’est que leurs parties de guitare se fondent dans un moule pop. Point de solo salutaire. Onze ans plus tard, quelques groupes ont osé la formule où les décibels s’étirent en longs développement fougueux : ils s’appellent Besnard Lakes, Black Mountain, ou Girls. Derrière leurs bobines nonchalantes, se cachent bien des trésors. Bien des idées, des tourments et des pensées habillées d’arpèges fragiles ou de soli fiévreux. Et parfois dans le même morceau. Comme le joli et innocent My Ma dont les premières minutes, lentes et splendides, se lovent dans les chœurs et les nappes d’orgue hammond. Puis, à la 4ème seconde de la 2ème minute, la guitare fuzz se fait déchirante d’émotion pendant une bonne cinquantaine de secondes. Quel bain de jouvence. Sentiment libératoire d’avoir tant attendu ce qui n’était plus entendu. LE solo. Et les autres chansons ne sont pas en reste. Bien au contraire. Très hard sur Vomit et Die dont le riff nous ramène tout droit à l’époque du Led Zeppelin IV pour finir sur une space jam floydienne lamée de mellotron. Plus suave dans Forgiveness sans pour autant se départir de sa force d’exécution. Fondamentalement stonien sur le très réussi Love Like A River. Arriver à concilier à ce point stridence et symphonie pastorale, comme dans le contemplatif Just A Song dont le titre même a tout de la mise en abîme, relève du coup d’éclat. Arriver à mobiliser autant d’instruments vintage, hammond, mellotron, rhodes, en restant moderne, actuelle dans la production ne peut qu’emporter notre adhésion avec signature immédiate. Seul défaut du disque, certainement assumé : le choix de la tracklist qui parfois déséquilibre l’album. Si la première « face » s’enquille sec, comme une gorgée d’alcool, sans temps mort, la deuxième semble parfois s’évaporer dans un rêve (drogué). Oh, il aurait certainement fallu mieux répartir les morceaux entre mid-tempo courts et incisifs et longues pièces bucolico-contemplatives. L’œuvre est ainsi faite, délivrée telle quelle, avec sa magie, ses limites, ses faiblesses. En somme, des impressions plutôt humaines. Et dieu sait que la musique d’aujourd’hui en manque parfois. Pas les chansons de Girls.
Girls, Father, Son, Holy Ghost (True Panther Sounds)
http://soundcloud.com/artsandcraftsmx/sets/girls-father-son-holy-ghost
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