Ah le joli mois de mai qui se rappelait à nos mémoires et dont la torpeur avait tout d’un deuxième été de l’amour avant l’heure, pensais-je en remontant le boulevard Voltaire en direction du Bataclan. Malgré la chaleur moite, mon corps fendait l’air avec l’agilité du léopard des savanes. Je rejoignais en fait un ami aux goûts surs pour assister au concert du quintet de Seattle, Fleet Foxes. Une fois les retrouvailles faites, mon camarade et moi nous dirigeons vers le bar le plus proche. La terrasse ayant été prise d’assaut par tout ce que Paris compte de bobos à chemise à carreaux, nous passons backstages dans la salle vaste et vide. Direction le bar suggère mon ami en pilier averti. Nous voilà commandant moult bières à une serveuse à peine aimable, tout juste insultante. Bref, la parisienne typique que tout un chacun conspue en public mais adore en secret. Paroles et bons mots fusent, nous échangeons sur nos récentes découvertes musicales, un album au ukulélé signé Eddie Vedder pour l’un, le dernier Metronomy pour l’autre. Nous rions de notre perception visionnaire de la scène musicale actuelle. Les minutes tournent, nous choisissons l’option « sans risque » en allant boire la prochaine bière à l’intérieur du Bataclan. Première étape de notre pèlerinage foxien, l’étale où un vendeur patibulaire propose contre espèces sonnantes et trébuchantes t-shirt, poster, CD et vinyle. Conscients de la mort prochaine du CD et de son corolaire digital, le mp3, nous optons pour le vinyle. Deuxième salve de rires pour notre lucidité exemplaire. Cling cling font nos gobelets en plastique remplis de houblon en trinquant dans une ivresse toute populaire. La foule est dense mais ne danse pas vraiment, adieu pogo merveilleux, tout à l’heure nous allons murmurer des mélodies célestes comme devant un feu de bois un soir de juillet en compagnie de mignonnes petites hippies innocentes. Progressivement, aucun lien de cause à effet avec l’ingestion d’alcool par litres entiers, nous sentons une chaleur torve s’emparer de nos corps. Hou, cela promet. Quelques applaudissements viennent rompre le fil de nos pensées. C’est la première partie ! Un mec déboule seul sur la scène, barbe christique constituant à elle seule toute une forêt peuplée d’insectes innombrables. Dans ses mains une guitare acoustique branchée sur ampli. Une chanson commence et à ce moment précis… Les lumières percent à nouveau l’espace de la salle. La première partie vient de s’achever sur un « Josh T Pearson, c’est la révélation de ma vie, ce mec est un pur génie ». Les minutes semblent éternelles, mais la libération vient. Fleet Foxes entre en scène, chacun attrapant son ou ses instruments. On s’accorde à accorder. Robin Pecknold, le leader, se plaint de la chaleur qui s’est imposée à tous. Ce que l’on appelle aussi une fournaise. The Cascades vient alors nous abreuver. Limpide instrumental dont la délicate mélodie semble avoir été tissée par des fées, des elfes peut-être. Dans la foule, les hippies secouent leurs cheveux sales. Mon ami et moi échangeons des regards hilares tels des bienheureux. Les chansons s’enchaînent et bien que le groupe les rejoue à la seconde près, refusant de s’engager dans quelque improvisation hasardeuse, le plaisir est bien présent, puissant même. Pour exécuter de tels édifices harmoniques il convient de faire preuve d’un génie certain ou avoir répété mille heures d’affilée. Ce qui paraît peu probable de la part de hippies mollassons. La bande à Robin a de surcroit la judicieuse idée d’intercaler entre chaque nouveau titre les chansons du premier album. Malgré toutes nos tentatives de chorégraphie punk, nos corps trahissent cette passion pour l’une des formations les plus magnifiquement honnêtes qui soient. Grown Ocean, Mykonos passent avec fougue. Le batteur attaque ses futs de telle manière que le folk semble se muer en rock pur jus. La simplicité pop de Battery Kinzie éclate à nos oreilles gourmandes en même temps que propres. Sur scène, la chorale Fleet Foxienne est en ordre de bataille, parfaitement en place, chacun connaît sa partie, sait à quel moment il doit intervenir, construisant au fur et à mesure les accords de ces cathédrales incroyables que constituent à n’en point douter les titres de ce deuxième opus. On sent malgré tout une attente et mon ami d’espérer deux chansons parmi les vingt huit morceaux composés : Helplessness Blues et White Winter Hymnal. Il faut percevoir l’euphorie glapissante qui s’empare du public quand ces derniers résonnent enfin. Délivrance ô combien délicieuse ! Ce White Winter Hymnal, même s’il n’est que métaphorique, semble tomber sur nous en fines couches de froideur bienvenue. Car un petit détail n’a pas échappé à mon regard : au milieu des mecs twittant à mort, on ne va plus chercher au des bières mais des bouteilles d’eau. Comme si l’on revenait à une forme de pureté originelle. Ouais bon, on brode, on brode, je crois surtout que la chaleur, épaissie par la masse compacte des corps, avait atteint une sorte de point de non retour. Robin finit le set sur deux morceaux joués acoustiques, alone, sous les feux croisés des lumières. Oliver James d’abord, superbe chanson taillée pour la voix exceptionnelle du jeune leader puis Blue Spotted Tail aux intonations pastorales et mélancoliques. La fin du set tombe alors le rideau. Nous nous engouffrons dans un couloir de chair humaine malaxée, suante, puis de la sortie nous sentons battre sur nos visage un air frais, doux, presque glacé. Ô joie ! Etourdissante, tant attendue. Quelques minutes, nous échangeons de « concert » autour d’une pièce de viande saignante dans une ambiance que seul Paris recèle, douce cacophonie de voix et de verres trinquaillant sur les tables. Mots et idées s’enchaînent avec vivacité, d’une actualité à une autre, débat passionnant allant de la biroute de DSK au côté « be roots » des Fleet Foxes. Puis le temps vient de nous quitter, chacun s’en retournant chez soi, sourire aux lèvres, vinyle sous le bras tel un trophée, avec autant de souvenirs qu’une mémoire d’homme peut en emporter. Dans le métro qui me ramène at home, quelques hippies en déshérence, pour une fois, ils me sont sympathiques et moins odorants qu’à l’accoutumée. Petit rituel matériel, je déballe toujours un Lp nouvellement acheté dans le wagon, l’exhibant fièrement aux regards des voyageurs souvent interdits. J’aime ça. L’observer, le soupeser, le ranger dans son sac pour l’en sortir quelques secondes après. Cet instant magique, je le perpétue systématiquement. Rien n’y fait, je procède toujours ainsi. L’instant est d’autant plus savoureux quand il s’agit d’un vinyle psyché à la pochette bigarrée, folle, droguée. D’ordinaire ouvert d’esprit, voire libéré, le parisien moyen semble malgré tout interloqué, choqué, pris en traitre par cette attaque graphique et lysergique. Hé hé, petit plaisir vicieux. La performance rejouée dans le théâtre de mon esprit se mêla alors au « tuuuuuuut » métallique du métropolitain.
Commentaires
Le Smarty
09.06.2011
Permettez moi, cher Adehoume, de poser ma plume à cet endroit où la pudeur vous a fait l\'ôter :
...et commence ainsi une bouillie infâme d\'accords ouverts et dissonants, difficilement masqués par une voix plaintive, comme un filet d\'une eau désolée d\'être tiède.
Des mélodies inexistantes, emprisonnées par l\'ennui d\'une fosse échaudée, et s\'étirant sur des minutes que la chaleur épaisse d\'un Bataclan rempli s\'est chargé de transformer en longues heures de souffrance musicale.
Mon père a coutume de dire par goût de la provocation : \"je préfère 2mn de mauvaise musique à 5mn de bonne.\"
Je me permettrais de le parodier en l\'adaptant à cette désastreuse première partie : \"je préfère 2mn de mauvaise pop à 5 mn de folk de merde.\"
Et preuve est établie, s\'il le fallait encore, qu\'il ne suffit pas d\'avoir une barbe pleine de poux et les pieds qui puent pour faire de la musique folk.