Mûza Rubackyté, the lady grinning soul

par Adehoum Arbane  le 04.05.2011  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

Chère Mûza,

L’homme se construit autour de certitudes que la spiritualité, grand domaine de la foi et des arts, vient méthodiquement bousculer. Les miennes se sont envolées. Le soir même où je suis venu vous écouter, répondant à la plus salutaire des invitations qu’il m’ait été donnée de recevoir. Ce soir-là, donc, vous fîtes naître bien plus que ces pensées aujourd’hui si maladroitement retranscrites. Si la mémoire demeure parfois capricieuse, les souvenirs que je conserve chèrement en moi, tout me rappelle à cette merveilleuse soirée. Moi le rock critique, je laissais fosse et backstages pour assister à un récital. Je sais que ce mot paraît désuet au regard des autres. Pour moi, il n’en est rien. Sur la scène silencieuse, le public s’étant miraculeusement figé, trônait son corolaire ultime, l’instrument mythique. Le piano ! En noir et blanc étincelant. Seul, inflexible et fier. Derrière, le décor s’esquissait en fresques baroques, en chapelles mirifiques sous les lumières bleues donnant vie à chaque motif. Il me sembla alors parfaitement convenir à la musique que vous vous apprêtiez à faire revivre pour moi. Par l’embrasure d’une timide porte dessinée sur le côté, vous fîtes une apparition remarquée, troublante en vérité. Telle une tragédienne, votre silhouette parée d’étoffe superbe glissa vers le piano sous les applaudissements nourris. Au moment où vos mains gracieuses s’élevèrent, pliées dans un geste technique, le silence régna à nouveau. Un timbre grave emplit la salle comme un roulement solennel puis, dans l’espace laissé en suspens, des notes tombèrent en pluies fines d’une délicatesse rare. Une puissante mélancolie s’empara de moi. Tout mon être, inébranlable, tressaillait ! Ciurlionis, Schubert, Liszt renaissaient sous mes yeux, leurs œuvres immortelles retrouvaient en cet instant, en ce lieu, leurs splendeurs passées. Je m’abandonnai lentement à ces accords majeurs revisités par vos soins au prix d’une exigence et d’un labeur longtemps conjugués. Mais sans rien perdre de cet étourdissant spectacle. Votre visage sérieux et charmant était l’incarnation même de l’émotion. J’en contemplais les moindres détails comme autant d’histoires me parlant de ces génies, fils de l’Europe glorieuse, et de leurs sonates, rapsodies, fantaisies et autres symphonies. Enfoncé dans mon siège, comme pétrifié devant tant de grâce, je savourais à sa juste valeur le triomphe des deux Franz. Héros des siècles oubliés. Parmi les impressions innombrables et les éclats de piano,  je songeais à cette miraculeuse chanson de David Bowie,  The Lady Grinning Soul. Puis,  ce fut l’illumination ! Cette muse, cette dame à l’âme souriante, c’était vous, Mûza ! Une correspondance évidente s’installa alors dans le strapontin ourlé de mon esprit : ces larges traversées de piano qui m’enchantaient ce soir répondaient aux arpèges en averse de The Lady Grinning Soul. J’avais noté depuis toujours ce goût évident de la Pop anglo-saxonne pour les influences néo-classiques, d’ailleurs, Brian Wilson n’en avait-il point été le plus brillant zélateur qui poursuivait ainsi le rêve populaire de Gershwin et de Burt Bacharach. L’espace d’un court instant, je retrouvais mes habits de rock critique sans pour autant me laisser distraire car, malgré le flot continue de pensées, la musique ne cessait d’exercer sur moi une troublante entreprise de séduction dont vous étiez, ô Mûza, l’unique inspiratrice. En réinterprétant ces thèmes emplis de magnificence, vous ratifiâtes l’éternelle vérité : la beauté transcendait les arts, les genres et les âmes. Et tissait un lien indéfectible, fraternel entre les hommes. Ainsi, étais-je littéralement bouleversé par la musique en elle même mais aussi par la clairvoyance qu’elle m’avait inspirée. A ce moment précis et alors que mon esprit s’enivrait de son propre ouvrage, la musique n’était qu’un maelström carillonnant dont l’enveloppe m’avait dérobé à la réalité pour m’emporter dans je ne sais quel au-delà heureux. Sa polyphonie diabolique avait eu raison de moi tant la mienne avait cédé le pas à la passion totale, charnelle, viscérale. Quand la fin approcha, je fus libéré de mes délicieux tourments par les vivats de la salle. Alors que les bouquets pleuvaient en un doux parfum de rose, je m’arrachai à mon inertie, de celle que l’on ressentait autrefois dans les fumeries d’opium. Sentiment exquis et coupable à la fois. Mon retour à la réalité n’en fut que plus morne, chère Muza, mais je vous emportai alors dans mes secrètes pensées pour ne plus jamais vous oublier.

Programme du vendredi 11 mars :

Ciurlionis 2 nocturnes, 3 préludes

Schubert, sonate a mino D784

Schubert/Liszt 4 lieder – Die junge nonne, Gretchen am Spinnrade, Du bist die Ruhe, Erlkönig

Schubert/Liszt 3 lieder – Ave  Maria, Der Doppelgänger Der Leiermann, Die Stadt

Liszt Sonata b minor

 


 

 

 

 


Commentaires

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Catherine Kauffmann-Saint-Martin

05.05.2011

bonjour,
je suis attachée de presse de Muza, me permettez-vous de poster cette magnifique lettre sur le Face Book de Muza et le mien ?
je suis d\'autant plus touchée que moi aussi j\'ai été une grande fan de rock (sans doute quelques générations avant vous :-) et que cela ne m\'empêche pas de vivre des moments de musique \"classique\" comme celui que vous venez de décrire. Et de les partager.
Bien à vous

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