... Ayant réussi à dépasser leurs modèles.
En puisant ses racines dans le blues et le folklore, le rock des sixties, alors en pleine adolescence, façonne sa légende à grands coups de hits novateurs… En forme de reprises !!! Alors que les esprits s’ouvrent devant les nouvelles potentialités mélodiques, la reprise, elle, ne se contente pas de singer. Elle réinvente. Les morceaux qui vont bientôt se livrer répondent presque tous à ce critère. Certains frisent l’audace, d’autres jouent la carte de la fidélité mais chacune de ses chansons est arrivée, par un tour de force du destin ou mue par une vision, à dépasser l’œuvre originale voire, à la reléguer dans cette seconde division qu’on appelle l’oubli. Le maître en la matière et que j’ai volontairement soustrait à ce classement demeure James Marshall Hendrix. Chaque fois qu’il choisit de reprendre une chanson c’est pour mieux la propulser dans un ailleurs que les plus grands noms de la pop ont à peine réussi à effleurer : Hey Joe de Billy Roberts, la reprise ultime dont les premières mesures sont reconnaissables entre mille mais aussi All Along The Watchtower de Dylan, Wild Thing des gentils Troggs, The Star-Spangled Banner, l’hymne américain composé par John Stafford Smith. Le gaucher le plus célèbre du rock les a bousculées, malmenées, malaxées pour les restituer sous une forme nouvelle, sidérante d’inventivité (les chœurs célestes sur Hey Joe) ou d’efficacité (la rage si bien nommée de Wild Thing). Autres atouts pour ces artistes impatients de se frotter à des œuvres existantes, les compositions et leurs auteurs. Difficile de surpasser un maître tel que Dylan. Sans investir les mêmes contrées que les Beatles, le barde incarna la rébellion propre à nourrir la mythologie du rock… En électrifiant le folk des origines. Et pourtant. Que de reprises fameuses, parfois supérieures au matériau premier. Puis vient le cas plus « délicat » des Beatles. Il y a des artistes qu’on ne peut reprendre sans se casser les dents. Combien de versions alternatives finirent dans les poubelles de la mémoire collective. Parfois, une touche d’ingéniosité suffit à transformer une chanson et le miracle se produit alors. Deux petits miracles figurent dans ce palmarès du jour. Mais finalement, une seule règle prévaut. La prise de risque paye toujours. Quand le musicien décide de déplacer le morceau dans un registre complètement différent. Quand l’honnêteté donne à la chanson revisitée une force que l’originale n’avait imaginé. Quoi de plus honorifique enfin quand votre réinterprétation fait école. Quand d’autres groupes s’emparent de l’équation nouvelle. Les voici prêtes à se révéler sous d’autres atours… De force.
Premier à s’imposer comme maîtres de la reprise, les Byrds. Un groupe au combien extraordinaire. D’abord parce qu’il se veut l’équivalent américain des quatre de Liverpool. A l’écoute de Rubber Soul, on comprend ce que les Byrds ont puisé dans cette musique émergente. La formation se distingue également par la somme des fortes individualités qu’elle réunit autour de Roger McGuinn : David Crosby, Chris Hillman et le timide mais génial Gene Clark. Tous peuvent largement prétendre au statut de songwriter. Mais c’est à McGuinn que l’on doit cette fascination pour Bob Dylan qui a donné aux Byrds la matière d’une éblouissante reprise : Mr Tambourine Man. Dans le Los Angeles de l’époque, où les hippies arpentent inlassablement le Sunset Boulevard, le morceau résonne tout particulièrement : il réussit la gageur d’incarner l’esprit du moment. 1965, année décisive. Bien sûr l’électricité a transformé cet homme au tambourin mais le son du groupe donne au titre son indémodable clarté. C’est là la signature évidente de la Rickenbaker. Associée à une basse rondelette, un clavier discret mais judicieux et les voix à l’équilibre parfait, la magie opère. La musique des anges, mec. Là, où l’interprétation délivrée par Dylan bouleverse par sa sobriété, propice à la narration poétique, la version des Byrds bluffe littéralement. Parce qu’elle invente tout simplement un nouveau langage, celui d’une pop éternelle, gracieuse, cristalline. Les Oyseaux n’on jamais aussi bien porté leur nom et Mr Tambourine Man devient alors la matrice du style qu’ils sont en train de forger. Turn! Turn! Turn!, puis Fifth Dimension où les guitares carillonnantes se tournent vers des sonorités plus psychédéliques. Younger Than Yesterday marque l’accomplissement musical du groupe qui survivra pourtant à de multiples défections comme celle de Crosby, parti rejoindre Stills et Nash. The Notorious Byrd Brothers, ces mots résonnent si mal et pourtant. L’inventivité s’y fait une fois de plus présente. Sans une seule reprise mais la messe pop avait été dite deux ans auparavant. Amen.
Les Beatles, un mythe. Eleanor Rigby, un monument. Bon, ben inutile de poursuivre plus longtemps, qui peut prétendre à remettre en question l’évidence ? P.P. Arnold, elle, a osé. La notion de prise de risque explique ici le succès et la puissance peu commune de la reprise. Car sa version, si elle ne peut dépasser l’originale, brille des mille feux d’une audace : celle d’un producteur, Andrew Loog Oldham. On lui doit la signature des Stones. Après ce premier fait d’arme, le bonhomme monte son label, Immediate. C’est dans cette écurie qu’il réunit les Small Faces ainsi que les nouveaux talents de la scène pop. Parmi eux, la toute jeune P.P. Arnold va s’illustrer. Ses origines afro américaines vont d’abord donner à cette visitation un charme certain, un groove suave. Le génie du producteur fera le reste. Car l’idée est là : la voix soul sertie dans une construction musicale baroque bien plus folle que le quatuor à cordes retenu comme seule option par Paul McCartney. Malgré un physique frêle, une forme presque diaphane, la voix, elle, nous envoie d’emblée dans une autre galaxie. Puis l’orgue fait son entrée, rond, volubile, grondant comme un jet prêt à décoller. Des lignes de basse viennent s’ajouter à l’édifice, créant un maelstrom éminemment séduisant. Sur le refrain, des chœurs féminins et enfantins donnent à l’ensemble un aspect irréel transcendé par les arrangements, imaginés par Oldham, et par cette flûte insidieuse au velours charmeur. D’une beauté insaisissable, le morceau arrive sans mal à s’imposer comme l’une des plus intenses relectures du répertoire beatlesien, démontrant s’il en était l’une des grandes vérités du rock : une chanson parfaite n’est autre que la rencontre entre une mélodie et son écrin. Démonstration faite avec ce Eleanor Rigby sensuel aux arrangements fastueux. Malheureusement, malgré un timbre exceptionnel, la carrière de Pat Arnold ne connaîtra jamais les affres du succès, tout juste arrivera-t-elle à multiplier les collaborations intéressantes avec Blind Faith, les Who, les Kinks, Bowie, Hendrix, Clapton ou encore Ike & Tina Turner. Ainsi, entre séries à la mode et backing bands, elle n’aura jamais atteint le niveau de reconnaissance de ses inspirateurs. Un oubli qui j’espère sera ici réparé.
Vanilla Fudge, un groupe au son léché si je puis m’exprimer ainsi. Je m’explique. Originaires de NYC, Mark Stein, Vince Martell et Tim Bogert forment la première ossature d’un groupe appelé les Pigeons. Joey Brennan, leur batteur pêche par manque de technicité. Le groupe décide alors de le remplacer par un italien de Brooklyn, Carmine Appice. Une fois le son rodé, le groupe entre en studio pour un mémorable premier album… Constitué exclusivement de reprises. Car à ses débuts, Vanilla Fudge est le spécialiste des reprises : mais leur sens authentique du drame porté au firmament du rock par la voix théâtrale et l’orgue tout en nappes de Stein leur vaut l’adhésion du public. Et Keep Me Hangin’ On en est la démonstration flagrante. Là où les Supremes évoluent sur un tempo rapide, Vanilla Fudge ralentit le rythme allongeant ainsi la durée du morceau. Alors que les filles proposent aux teenagers de l’époque un trio de voix soul, Stein et ses compères associent lead vocal torturé et chœurs maniérés. Construit sur une lente progression explosant littéralement lorsque le thème principal débute, Keep Me Hangin’ On n’a plus rien à voir avec l’interprétation des Supremes. On navigue alors en plein psychédélisme mais en mode east coast. Pas de trip béat à l’horizon, mais une noirceur pas vraiment black exploitation. La virtuosité des musiciens, tous en pleine possession de leurs moyens, confère au titre sa puissance emphatique, sa solennité viscérale. Tempêtes, tempêtes ! L’exemplarité du groupe dans son ambition à vouloir à tout prix dépasser la chanson originale va à ce point porter ses fruits qu’elle constituera la matrice pour les formations à venir. Tous les groupes psychés qui reprendront Keep Me Hangin’ On suivront les canons dessinés par Vanilla Fudge. Tous, sans exception, comme The Tea Company qui en délivra une version plus folle encore, gorgée d’écho et d’électricité déstructurée. Pour cet exploit, Vanilla Fudge restera dans l’histoire comme la formation américaine la plus populaire et la plus inspirante.
Comment ça, l’hymne définitif des bikers est une reprise ??? Je vois déjà les Hells Angels monter sur leurs grands chevaux fiscaux et ruer dans les brancards. Les mecs, calmons-nous : pas d’embrouille, juste un petit peu d’histoire. Steppenwolf n’est pas seulement le nom d’un célèbre roman d’Herman Hesse mais le patronyme de l’un des plus grands groupes de rock américain dont le son âpre et violent incarna pendant une demi décennie le symbole de la rébellion la plus virile. Hormis un brillant passage dans Easy Rider, narrant le trip initiatique de deux hippies à moto, le hit single hardeux Born To Be Wild affiche une étonnante reprise !!! AHAHAHAHAHAHAH… Hmmmm… A la base, il s’agit d’une composition de Mars Bonfire alias Dennis Edmonton, frère de Jerry, le batteur du groupe. Alors que le morceau s’apprête à hurler sa rage urbaine à travers les ondes du pays, Bonfire décide de sortir son album, Faster Than The Speed Of Life, où figure sa propre version. Mais n’est pas John Kay qui veut. Pourtant les intentions n’étaient pas mauvaises mais la relecture du loup des steppes marque par sa violence là où la voix de Bonfire, gentiment et faussement sensuelle, transforme son propre hit en guimauve psychédélique vaguement matinée de fuzz et d’orgue cool. Quand Steppenwolf s’en empare, la plaisanterie cesse pour offrir du gros riff accrochant l’asphalte et l’auditeur en même temps. Plus véloce, Born To Be Wild played by Steppenwolf assure le meilleur deal entre basse énorme, guitare vociférante et orgue funky. Et quand John Kaye déboule, il impose sa voix autant qu’il pose ses couilles sur la table de mixage. Parfaite de bout en bout, la chanson réveille alors une Amérique endormie dans les vapeurs de patchouli. Là bas, dans le Nord Vietnam, les petits gars de l’oncle Sam écoutent le son de la révolte qui les incitera à fumer des joints dans leurs fusils le tout devant les très officielles caméras des services de presse de l’armée américaine. Les sixties ont enfin trouvé leur hymne, Mars Bonfire peut retourner à ce qu’il sait faire de mieux : écrire des chansons.
Avant de devenir les princes du rock FM, Fleetwood Mac et ses joyeux drilles officiaient dans le registre du blues boom boom en mode très conventionnel. Ils ignoraient qu’ils comptaient dans leur rang un guitariste inspiré, avide d’explorer d’autres territoires : Peter Green. Chose assez méconnue, on lui doit l’éternel et mystique composition Black Magic Woman. Sa version première possédait déjà les atours sensuels que Carlos Santana allait sublimer trois ans plus tard sur le mythique et fondateur Abraxas. Petite bio express. En 1969, Santana déboule sur la scène de Woodstock avec un groupe métissé dont le tour de force est de fondre le tropicalisme dans la tradition rock. La prestation, époustouflante, les fait entrer dans la légende et ce… Sans avoir sorti le moindre album. Dans les mois qui suivent le premier opus est rapidement mis en boîte. Entre temps, Miles Davis a sorti Bitches Brew qui demeurera pour Satana une influence majeure. Au printemps 70, en deux mois seulement, le groupe enregistre les neuf titres d’Abraxas et se paye le luxe de reprendre pour leur pochette Mati Klarwein, l’artiste qui illustra le brouet des chiennes. Cette alliance savante entre rock, influences latinos et jazz donnera à Black Magic Woman son lustre absolu. Enregistrée en deux parties, Black Magic Woman/Gypsy Queen, la chanson débute sur un tapis de percussions, de nappes d’orgue et surtout par un premier solo du maître. Les paroles débutent au bout d’une minute et vingt quatre secondes portées par un clavier électrique qui doit beaucoup au style que Davis inaugure en ce début des années 70. Parfois, les mots sont vains et Santana l’a bien compris qui nous transporte par le biais d’un toucher « magique ». La deuxième partie du morceau voit le propos s’accélérer : l’esprit jazzy fait place à un son latino incroyablement chatoyant qui s’achève dans un final grandiose qui nous laisse épuisé mais heureux. Pour les plus nerds, nous conseillons d’écouter le prélude de Black Magic Woman, Singing Winds, Crying Beasts qui constitue une merveilleuse et céleste introduction. Et pourquoi pas tout l’album tant qu’on y est… Dans les sphères radieuses emplies de soleils aquatiques imaginées par Carlos Santana.
Encore une chanson de Dylan me direz-vous sauf qu’ici, elle est cosignée Richard Danko, le bassiste de The Band qui accompagna le maître sur scène avant de prendre son envol pour une passionnante carrière solo dans les confins de l’Americana. This Wheel’s On Fire resta dans les mémoires et dans les charts comme la plus anglaise des reprises du songwriter américain. Et pour cause. Derrière les manettes de ces roues enflammées, le claviériste Brian Auger. Véritable sorcier de l’orgue Hammond, il emballe avec Trinity une série de tubes dont This Wheel’s On Fire représente l’aboutissement artistique. Le climax. Bien sûr, les nappes de mellotron, le piano savant et les différents effets dont un phasing sur le refrain ne sont seuls responsables du succès de la chanson. Au sein du groupe, on trouve la marmoréenne Julie Driscoll, sorte de Twiggy en mode chanteuse pop. Sa voix de porcelaine, faite pour épouser tous les registres (elle épousera ainsi le pianiste de jazz Keith Tippett), fait merveille sur les quelques trois minutes que compte ce monument du Carnaby Street bariolé. Plus étonnante encore demeure l’histoire de cette chanteuse incroyable. Julie, que ses amis appellent Jools, officiait comme secrétaire de Gorgio Gomelsky. A l’époque, Auger cherche une chanteuse et c’est par le plus grand des hasards que Julie Driscoll fera des essais plus que concluants. Le reste appartient à la légende. Tant et si bien que les futurs albums seront signés Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity. Petit conseil d’ami, écoutez donc Streetnoise. Excellent de bout en bout, il contient deux reprises plus qu’honnêtes de Light My Fire des Doors et de Let The Sunshine In, morceau phare de la BO de Hair. Quant aux compos de Driscoll, elles éblouissent par leur belle complexité comme la sublime balade Vauxhall To Lambeth Bridge. Elle fera par la suite une étonnante carrière solo entourée par le groupe de son mari, délivrant une pop jazzy des plus lumineuses. Pour en revenir aux roues de feu, certes, on appréciera les deux versions de Dylan & The Band, l’une en bonus tracks des fameux Basement Tapes, l’autre sur le mythique live du Band, Rock Of Ages. Mais on ne peut que succomber à la relecture planante qui était, à n’en point douter, de bon Auger !
J’ai entendu par la rumeur que I Heard Throught the Grapevine sonnait presque mieux dans la version réarrangée et rallongée par Creedence Clearwater Revival. Déjà, la prestation de Marvin Gaye, le 30 octobre 1968, envoyait du lourd : avec ses claviers roucoulants, ses cuivres félins et la voix gracieuse du maître, on naviguait dans quelque paradis noir perdu depuis. Trois ans plus tard, alors que CCR prépare son chef-d’œuvre Cosmo’s Factory, John Fogerty décide de s’emparer du classique soul signé Whitfield/Strong. Et la transformation se révèle, comment dirais-je, brutale. Mais géniale. Avec sa voix à décorner des bœufs dans les vastes prairies du Texas, Fogerty virilise le titre. C’est le moins que l’on puisse dire. L’allongement du temps lui permet de briller à la six cordes et c’est précisément là que la version nous intéresse. On est passé d’un classique soul, black en diable, à un rock puissant, sudiste, rural, bestial. Un joli symbole du pont que les musiciens de l’époque essayaient de tendre entre la white et la black culture. De la première à la dernière seconde, la maîtrise prévaut de telle sorte que l’on croirait entendre une composition de Fogerty himself. Accompagné par une section rythmique impeccable, Fogerty donne libre cours à sa vision résolument rock de l’affaire. Tour de force quasi magique, les chœurs possèdent ce velouté typique des singles Tamla. Puis, la tension qui s’était installée progressivement se libère quand le soliste laisse cracher l’électricité. Totalement en possession de son art, le bonhomme balance deux soli tendus comme une trique. Sans jamais apparaître bavard, il explore avec une rare intensité toute l’étendue de son registre, ménageant les effets et l’auditeur par la même occasion. Détail à noter, la production au cordeau de Fogerty donne au morceau une patine quasi « live », un son garage plein d’écho, l’aspect cradingue en moins. Le résultat n’en est que meilleur, l’authenticité aussi. S’en suit un retour au thème qui s’évapore sur un lit de percussions comme la mousson sur les jungles inextricables du Nord Vietnam. Brillant.
Un débat qui perdure encore aujourd’hui et une position qui oscille au gré des années. De celle des Beatles ou de Joe Cocker, quelle est la meilleure version de With A Little Help From My Friends ? Pour éviter toute polémique, recentrons le propos sur ce point d’analyse. La capacité de changer une chanson en la reprenant. Et là, les éléments de comparaison permettent de proposer un jugement viable. D’abord le frontman. Chez les Beatles, c’est Ringo Starr qui s’y frotte. En effet, les scarabées avaient convenu d’accorder à Ringo la possibilité d’interpréter une chanson par album. Trois ans plus tard, le volcanique Joe Cocker décide d’offrir à ses cordes vocales ce classique des Beatles. Le timbre rouillé du rockeur de Sheffield inspirera à Denny Cordell, le producteur, le traitement. Fondamentalement soul. L’introduction emmenée dans un roulement de batterie annonçant une explosion de guitare et d’orgue reste fameuse. Après cette entrée en matière puissante, une basse toute en sobriété calme le jeu laissant place à la voix incroyablement granuleuse de Joe Cocker. Une section de chœurs féminins fera entrer cette version au panthéon de la pop car nous sommes passé d’une innocente pop song à un hymne soul rock dont la version live à Woodstock constitue l’indispensable double. Oh, bien sûr, au fur et à mesure des années, le commentateur variera en fonction de ses humeurs : ne considérer que la version originelle, brute, radicale ou se laisser emporter par la force radiophonique de celle de Cocker ? Jamais deux interprétations à la mélodie identique mais aux arrangements différents n’auront à ce point divisé les fans de tous bords. Les puristes contre les réformistes. Les modernistes versus les conservateurs. C’est à l’aune de cette réalité que l’on jugera avec calme et objectivité du tour de force réalisé en octobre 1968 par John Robert Cocker et son backing band où figurent Jimmy Page, Tommy Eyre, Chris Stainton ou encore le batteur de Procol Harum BJ Wilson. Avec l’aide de quelques amis donc.
Rien à voir avec la bande à Morrissey. D’ailleurs, notre groupe se voit délesté du « s » qui aurait pu entretenir le doute. Plus californien que briton, les Smith ricains n’ont sorti qu’une poignée d’albums dont le premier, sobrement intitulé A band called Smith, demeure le plus célèbre. Malgré son insignifiance au regard de la production de l’époque, l’opus restera onze semaines dans le top 40. Mais pour quelle raison impérieuse ? Il semblerait que la reprise de The Band, The Weight, y soit pour quelque chose. Et pourtant, rien n’a bougé d’un iota dans cette nouvelle lecture. Oh, peut-être la voix ne sonne-t-elle pas vraiment à l’identique. Si l’on y prête attention, le piano possède quelque chose d’autre, ce je ne sais quoi qui lui confère sa vérité. C’est surtout sur un malentendu que le morceau est passé à la postérité. Quand Peter Fonda et Dennis Hooper filment ce qui deviendra un monument du cinéma rock, ils convoquent alors la crème du la scène musicale. Easy Rider marquera les esprits avec sa BO incroyable, riche de tubes indépassables, Born To Be Wild, Wasn’t Born To Follow, If Six Was Nine et… The Weight. C’est celle du Band que l’on entend dans le film. Mais lorsque la BO est mise en boîte, c’est la version des Smith qui figure au casting. Par un savant tour de passe-passe appelé « hey les mecs, on n’a plus les droits ». Est-ce la raison de la troublante similitude entre les deux chansons ? L’histoire ne le dit pas mais on peut largement préempter cette hypothèse tant la le résultat semble ici confondant. A l’arrivée, la lecture des Smith ne se détache pas mais n’en apparait pas pour autant faiblarde. Bien au contraire, l’exécution est ici parfaitement maîtrisée dans un registre folk rock traditionnel du meilleur effet. Les circonstances ont ainsi permis à une formation de second rang de trôner parmi les plus grands noms du rock des années soixante et, par l’entremise du septième art, d’entrer dans la mémoire populaire. Un honneur amplement mérité pour un groupe au nom si commun.
Robert Wyatt avait déjà brillé au sein de Soft Machine, formation culte de l’underground londonien. Alors que le groupe s’élevait au firmament du jazz, Wyatt œuvrait en secret pour livrer au monde pop un premier disque tarabiscoté, long, dense, et fondamentalement génial. Quatre ans et un accident dramatique plus tard, Bob se retrouve cloué dans un fauteuil roulant, rumine à Venise et renvient enregistrer entre amis ce qui restera comme son chef-d’œuvre ultime et l’un des albums les plus importants des seventies, sinon du vingtième siècle : Rock Bottom. Hé ouais, j’ose. A cette époque, il choisit comme single une reprise des gentils Monkees, LE premier boys band de l’histoire du rock. Ce groupe américain balance en 1967 un morceau censé détrôner les Beatles. Peine perdue, I’m Believer, s’il s’avère convaincant, n’est pas le tube définitif de l’époque qui en compte déjà pas mal dans sa besace. Passée à la moulinette wyattienne, la chanson s’illumine, irradie. Tout se conjugue ici à merveille : la voix, le piano, les arrangements. Le maître s’est approprié le morceau pour le restituer avec maestria. On n’en attendait pas moins de Robert Wyatt qui se démarque dans le paysage pop anglais par sa poignante singularité. Il existe deux versions de I’m A Believer : l’une jouée avec les fidèles de l’école de Canterburry, Nick Mason à la batterie, Fred Frith à la six cordes, Richard Sinclair à la basse, j’en passe et des pas dégueu. L’autre enregistrée dans les studios de la BBC par Robert qui, seul face à son piano, emprunte alors un registre plus introspectif. Deux approches balayant tout le spectre de l’univers de Wyatt, musicien virtuose, chanteur incroyable, pianiste minimaliste bricolant dans son coin des mélodies solaires, loin du fracas médiatique, du star system en goguette et de la faim dans le monde. Et pourtant l’homme espère en l’avenir de ses contemporains, comme un believer.
La reprise est au rock ce que la moutarde est à Dijon. Un phénomène qui n’est pas le seul apanage des décennies 60-70 et que l’on mesure encore aujourd’hui. Génial exemple de réinterprétation, The Man Who Sold The World admirablement joué et chanté par un Kurt Cobain pas encore dépassé par son propre mythe, lors d’un concert unplugged qui restera comme le plus émouvant témoignage du quatuor d’Aberdeen. Preuve de la vitalité d’un répertoire qui continue à influencer les nouveaux groupes à l’horizon des années 2000. Idem pour les petits français de Zombie Zombie dont la geek attitude les a récemment poussés à rejouer les plus grands thèmes musicaux du maître de l’horreur cheap, John Carpenter, en les irriguant de nappes synthétiques fondamentalement planantes. Enfin, accordons le mot de la fin à Frank Zappa qui, au sein des Mothers, donna une relecture hilarante et iconoclaste du Hey Joe passé à la moulinette hendrixienne. Flower Punk et son refrain stupide charment immédiatement les oreilles de l’auditeur averti. Hey punk, where you goin’ with that flower in your hand ? Well, i’m goin’ up to Frisco to join a psychedelic band. Tout est dit. Et bien repris.
Commentaires
Le Smarty
24.03.2011
Votre culture musicale n\'a d\'égale que la justesse de vos analyses et la précision de votre plume.
Archibald Le mildiou
08.06.2012
\"Sloop John B\" des Beach Boys est également une reprise, d\'un traditionnel plus exactement. Il aurait eu sa place ici je pense. Ceci dit très bon article.