... Le vieux ou la vieille qui vous pique l'ascenseur tous les matins, qui attend 19h08 pour aller acheter un yaourt, une boîte de gâteaux et un pot de moutarde quand tout ce que la France compte d’actifs va faire ses courses précisément à cette heure et dans une urgence bien compréhensible, qui coûte un max à la sécurité sociale en médicaments, consultations et hospitalisations et qui trouve encore le moyen de s’en plaindre, qui tape avec son vieux balaie quand vous poussez la musique un tantinet trop fort, qui ronchonne quand le bus est bondé et qui exige qu’on lui cède obligatoirement la place pour des raisons de fatigue ou d’arthrose là où le dit vieux est capable de sortir dix fois par jour pour aller 1/Retirer sa pension 2/Acheter chez le boucher du mou pour son chat parce que c’est meilleur 3/Se faire palper chez le médecin, qui s’émeut de tout bruit alors qu’il fait hurler son poste de télé jusqu’à point d’heure (ah la surdité et les insomnies), qui promène sur des kilomètres de laisse des cabots aussi minuscules qu’ignobles, chieurs et hurleurs, dont la nuisance semble avérée depuis des lustres, qui au sortir de la messe, une fois confessé, peut maugréer contre le monde entier, jeune, noir, fille en jupe, avec une déconcertante facilité, qui dépasse tel une fusée les files d’attente de toutes les administrations prétextant la fameuse arthrose ou feignant de ne pas entendre les réprimandes de ceux qui poirotent gentiment, qui demande au mois de septembre qu’on rétablisse le chauffage collectif parce qu’on a froid, que tout son petit corps de parchemin frissonne, faisant ainsi l’impasse sur tous les vœux pieux en matière d’écologie et d’économie énergétique. Comme vous le voyez, ce rapide inventaire des tares de nos vieilles et de nos vieux justifie à lui seul une petite sélection des dix chansons, ô combien rock, qui les feront trembler, pester, râler, ronchonner… En un mot chier. Quelques critères bienvenus ont présidé à ce panthéon jubilatoire. La famille hard a ici toute sa place : plus la musique sera puissante par nature, plus le vieux souffrira. Mais j’ai cependant tenu compte du caractère dingo de certains morceaux qui, dans un retour au calme salvateur, abrègent provisoirement ses tourments puis retombent, ô bonheur, dans le chaos sonore. Alors pensez à vos voisins cacochymes et toussotants alors que je dresse la chronique de ces dix chefs-d’œuvre.
Ouvrons cette tribune avec le maître de l’absurde, Frank Zappa. En 1965, le moustachu le plus célèbre du rock réunit une bande d’allumés sous le patronyme cryptique des Mothers Of Invention. Tributaires de l’un des premiers doubles albums de l’histoire du rock, les Mothers frappent fort en cette année 66 où la pop rédige le prélude de son histoire. Ici, ce ne sont pas les morceaux courts qui titilleront la patience de votre voisin perclus de rhumatisme. Non, l’objet du délit se trouve sur la deuxième galette. Long de plus de huit minutes, Help I’m A Rock représente la première incursion du rock dans la musique contemporaine. Délirant d’un bout à l’autre, proprement déroutant dans sa longue et méthodique aptitude à construire et à déconstruire un thème plus ou moins conventionnel, Zappa démontre ici une savante virtuosité en « inventant » avec ses mères une forme de psychédélisme hétéroclite au regard des canons imposés par les Beatles, entre autres. Débutant sur des incantations inaudibles, ponctuées de chœurs stupides, Help I’m A Rock se divise en trois parties, Okay To The Tap Dance, In Memoriam Edgar Varese et It Can’t Happen Here, tour à tour inquiétantes, drolatiques, érotiques, abstraites, free, psychotiques. Comme si on avait lâché tout un asile dans un studio d’enregistrement. Ce qui fut probablement le cas si l’on considère que le morceau ne peut fonctionner sans les douze minutes aussi folles de sa suite logique, The Return Of the Son Of Monster Magnet. Admirablement bien produit, ce premier album demeure fondateur du style Zappa entre rock, jazz et avant-garde et bien plus. McCartney déclara qu’il n’y aurait pas eu de Sgt. Pepper’s sans Freak Out. Je ne connais personne qui pourrait se relever de l’écoute subie de Help I’m A Rock. Ainsi, pour vous éviter d’achever votre vieux à coups de tatanes, dites lui que la chanson rend hommage au dieu Elvis « The pelvis » Presley : il partira dans une ultime exhalaison.
Certes et inutile de m’envoyer cette laconique remarque à la face, il se trouve que j’ai effectivement déjà consacré une place à Captain Beefheart dans une précédente chronique du calibre de celle-ci. Ok. Mais là, la citation se veut incontournable. Evidente. Imparable. Et pas seulement parce que l’artiste vient hélas de nous quitter. Quoi de plus effrayant pour une vieille baderne que la voix d’outre-tombe de Don Van Vliet. Quoi de plus irritant que la clarinette du capitaine qui emprunte le temps de Ant Man Bee le sillon tracé par Ornette Coleman. C’est sous cet illustre patronage que le Magic Band donne de la voix, et quelle voix. Déjantée, libre, aigue, la musicalité concassée vous séduira autant qu’elle importunera votre voisin quasi centenaire. D’ailleurs si le cœur vous en dit, vous pouvez toujours repasser Trout Mask Replica en entier, histoire de prolonger l’agonie. Car il faut bien l’avouer, cet opus livré au monde ahuri le 16 juin 1969 peut déconcerter l’auditeur qui n’aurait pas lu ces lignes, malgré sa force, son génie, sa foisonnante modernité. Chacun de ses morceaux ne figurera jamais dans la tracklist de la chance aux chansons et pour cause. Pas plus qu’il ne sera célébré aux NRJ Music Award. Qui s’en plaindra ? Pas moi. Revenons à Ant Man Bee. Malgré le talent du Don Van Vliet, il ne faut pas sous estimer le savoir-faire des musiciens qui font un peu plus que l’accompagner. Jeff Cotton à la guitare et John French à la batterie constituent la clé de voute de l’édifice beefheartien. Fer de lance du Magic Band, ils interprètent Ant Man Bee et les vingt sept autres morceaux avec une rare intégrité. Après cela, le capitaine cœur de bœuf peut vivre et les ancêtres caner. Oh yeah.
La blague qui tourne autour d’Interstellar Overdrive de Pink Floyd a longtemps alimenté les discussions, les défis de fin de soirée. Qui pourra aller jusqu’au bout des neuf minutes et quarante et une secondes du septième morceau de Piper At The Gate Of Dawn ? Pour une personne normalement constituée, l’écoute relève de l’épreuve. Imaginez pour une mamie austère et le toutou hargneux qui semble être le prolongement naturel de son bras décharné. A l’époque, Interstellar Overdrive représente la matrice définitive du psychédélisme naissant. Plus dingue encore que toutes les productions américaines sorties entre 1966 et 1968. Et ce malgré un handicap apparemment majeur : les musiciens de Pin Floyd ne sont pas des virtuoses, à part Richard Wright dont on raconte qu’il accordait les instruments de ses collègues avant de monter sur scène. Le groupe le surmonte pour délivrer une jam proprement hallucinante démarrant sur un riff d’une violence rare dans la production anglaise de l’époque. Par la suite, on ne peut compter sur un éventuel relâchement des musiciens qui, jusqu’au-boutistes, sont bien décidés à repousser les frontières du rock. A ce propos, l’orgue se veut un parfait contrepoint à la guitare débraillée de Syd Barrett, il semble d’ailleurs parler un langage à l’image de la psychose qui ronge le leader. Pas en reste, basse et batterie délimitent l’espace où s’expriment Barrett et Wright. Le mixage quant à lui demeure une véritable prouesse, contribuant à l’atmosphère délirante du titre. Les dernières minutes frisent l’apothéose cosmique grâce à ce judicieux effet stéréo filtrant la reprise du thème, quelques notes qui feront entrer Syd dans la légende. Et votre voisin décati dans une rage folle.
Dans cette sélection bigarrée, Je T’aime Moi Non Plus pourrait passer pour une délicieuse promenade de santé, fleurant bon l’innocence et la joie de vivre. Il n’en est rien. Quand Gainsbourg écrit Je T’aime Moi Non Plus, il célèbre son amour pour la plantureuse Brigitte Bardot. Ils enregistrent en 1967 une première version. Mais complètement paralysé par la femme créée par Dieu, Serge le timide trébuche. La mouture n’est pas probante. Ironie du sort, il finit par se faire larguer par la belle. L’année d’après, il fait la rencontre de Jane qui sera, en 1969 (!!!), l’interprète ultime de ce tube mémorable. Outre sa basse furieusement pop, son orgue baveux et sa guitare sexy, le morceau possède l’argument ultime pour être passé très tard le soir, à fond les ballons. Il s’agit ici d’un hymne à l’amour, mais en mode porno chic. Alors que Gainsbourg entonne « Je vais et je viens, entre tes reins », imaginez le visage figé, extatique, du vieux outré. Ce sentiment de répugnance, d’être choqué au point de se bâillonner les oreilles avec les mains puis la tentation de ne pas en perdre une miette. Pourquoi ? Parce que cette song lui rappelle ces années volées par le temps où il pouvait s’adonner aux plaisirs de la chair, chose qu’il ne peut plus faire pour cause d’impuissance ou de ménopause. Toute la torture de cet instant réside en ce point, vous en jugerez, fondamental. Irrité ou excité par le refrain répété de façon entêtante, la victime octogénaire se met à agripper violemment les accoudoirs de son fauteuil miraculeusement préservé, ses mains crochues lacérant littéralement l’étoffe. Puis dans un réflexe bien compréhensible marmonne quelques vagues prières comme pour se délivrer du tourment puis pousse un hurlement de haine libératoire quand Jane lâche « non maintenant viens » dans un simulacre de jouissance… Jouissif. Note pour plus tard, cette chanson marche aussi avec les curés.
If You Want To Be A Bird des Holy Modal Rounders n’est pas à proprement parler un morceau hard au sens premier du terme. Il ne s’agit pas non plus de l’un de ces hymnes psychédéliques dont les vapeurs toxiques vous emportent dans je ne sais quel abîme (bien qu’ils aient été les premiers à employer le terme dans Hesitation Blues). A la première écoute, on pense à une banale chanson à boire, j’en veux pour preuve le piano bastringue et la voix hallucinée de Peter Stampfel. Issus de la scène folk de Greenwich Village, les Holy Modal Rounders pratiquent comme les Fugs l’art de la dérision, genre à part dans l’histoire du rock. The Bird Song (If You Want To Be A Bird) en est la preuve ultime qui viendra à bout de vos oreilles, avant même d’entamer votre patience. Relativement court, à raison de deux minutes et trente sept secondes, cette chanson mérite d’être repassée en boucle, indéfiniment, afin de susciter l’effet escompté : le bruit d’une cane frappant vertement le plancher. Hormis le caractère dégingandé du morceau, à la limite de l’audible, la citation vaut autant pour le film qui la reprend au menu de sa bande originale : Easy Rider en l’occurrence. La fameuse scène qu’illustre ce petit joyau folk montre nos deux compères motards, incarnés par Denis Hopper et Peter Fonda, accompagnés d’un jeune doux dingue à qui Jack Nicholson prête son visage. Ne manquez pas de préciser ce détail à haute voix lorsque vous passerez ce morceau. Je parie ma bouteille de Bourgogne grand cru que le résultat sera à la hauteur de vos espérances et que votre vioque, terrifié, cessera de battre la mesure de façon si horripilante avec sa canne.
Noir et guitariste, voilà déjà qui fâchera votre entourage de gérontes à six pattes (le déambulateur). Passons sur ces détails pour se concentrer sur Divin’ South, chanson signée Curtis Knight. Cet innocent ( ?) rock’n’roll entre les mains expertes du gaucher de Seattle s’en trouve métamorphosé. Enregistré le 6 octobre 1967 dans les studios de la BBC, Drivin’ South explose à nos oreilles gourmandes. Débutant sur un riff très fifties, la chanson se laisse vite happer par Hendrix qui déploie pour notre plus grand bonheur toute la panoplie bigarrée des effets et ça fait mal, très mal, je songeais au grison sus cité. Une telle violence était très inhabituelle en cette fin des années 60, les guitaristes anglais se contentant de décliner les formules d’usage à travers le bon vieux blues des familles. Hendrix lui se réapproprie l’instrument, exploitant au mieux toutes ses possibilités. Un son énorme, hard en définitive, abrasif, comme un bourdon géant, rugissant de toutes parts. Chose frappante au regard de la production en vigueur en cette sainte année 67, la vitesse avec laquelle Jimi exécute les notes, anticipant avec vingt ans d’avance les démonstrations virtuoses de petites frappes comme Joe Satriani. A mesure que je réécoute ce titre live, en dehors d’une très vive jubilation, je repense à mes années d’adolescence où je faisais hurler Drivin’ South dans les enceintes pourries de ma mini chaîne CD, reclus dans ma chambre comme un animal en cage et inventant au passage, comme tant d’autres j’imagine, le concept de air guitare, mais avec une raquette de tennis : on a les instruments de légende qu’on peut. Cette édition des sessions BBC De l’Experience datait de 1988. J’en avais fait l’acquisition en l’an de grâce 1989. C’était mon tout premier CD. Comment l’oublier… Bon, allez, on se repasse Drivin’ South et à plein volume s’il vous plait, pour nos voisins ronchons.
Trois arguments ont présidé au choix de Child In Time, chanson épique sortie le 3 juin 1970 sur le mythique Deep Purple In Rock. Trois raisons qui feront maugréer nos chères vieilles barbes. La première tient dans la longueur du titre, s’étalant sur plus de dix minutes. Une telle durée autorise ainsi développements et multiples rebondissements qui ne pourront que troubler les esprits. Car le morceau démarre sur un riff d’orgue lent, majestueux qui ne parvient pas à dissiper une certaine inquiétude : tout cela sent la dramaturgie à plein pif. La voix de Ian Gillian fait son entrée, sous la forme d’une voluptueuse litanie pour monter progressivement dans les aigues. C’est là le deuxième atout de Child In Time. L’interprétation, d’une rare intensité, contribue à la force du propos. Malgré sa petite gueule sexy, le gentil Ian cache bien son jeu. C’est un véritable singe hurleur, une vierge braillarde qui s’époumone comme si on en voulait à sa vertu. Autant le dire, tout l’étage est d’ores et déjà transi de peur. Et pour achever ce bataillon de pétochards cardiaques, Ian Paice en frappant ses fûts de façon martiale lance à Ritchie Blackmore une invitation qu’il ne pouvait refuser : le solo de guitare. Et là, le droitier briton s’en donne à cœur joie, d’abord en usant d’une finesse bienvenue puis en accélérant les choses avec la virtuosité qu’on lui connaît. Un des plus fameux chorus de toute l’histoire du Rock. Le retour au calme laisse présager d’une fin heureuse, il n’en n’est rien. La litanie reprend dans une lenteur solennelle inspirée par l’orgue savant de Jon Lord. Guitare et cordes vocales s’entremêlent alors de façon orgiaque dans un final homérique qui laisse l’auditeur totalement vidé mais heureux. Quant aux voisins, une odeur rance laisse présager de l’envoi futur de faire-part de décès.
L’un des plus grands live du Rock, toute période confondue. « Captée » les 30 et 31 octobre 1968 au Russ Gibb's Grande Ballroom de Détroit, le premier album de MC5 tient ici une place toute choisie pour sa capacité à transformer le bruit en Art. Kick Out The Jam, une déclaration d’intention qui semble exprimer à merveille le sentiment que l’on ressent dès la première écoute de ce brûlot mythique. Tous les titres auraient pu être retenus, tant ils se fondent les uns aux autres dans un magma sonore « supporté » par une foule à vif. Bien entendu, on songe au morceau titre dont les quelques mots en guise d’introduction donnent le la de la révolution qui couve dans la cité industrielle du Michigan. Déjà, alors que le disque déroule ses tapis de guitares furieuses, le voisinage s’émeut, se tord de douleur dans une convulsion intenable. Sans passer au sens premier l’ordre des morceaux, j’irai donc au fait : Rocket Reducer No 62 (Rama Lama Fa Fa Fa). Un nom déjà, long comme une déclaration de guerre. La violence du titre, elle, reste atomique. Quelle puissance de feu dans ce duo de guitares incarné par Fred « Sonic » Smith, dont le surnom inspira Sonic Youth, et Wayne Kramer. Electricité kamikaze qui transforme ce grand ballroom en champ de bataille où la voix blafarde et criarde du regretté Rob Tyner guide les troupes dans un chaos d’explosions et de chœurs hagards (le refrain et son rama la fa fa fa). Il faudra souffler à nos gouvernants, en quête d’économies, de diffuser ce tonitruant opus dans les hôpitaux et les maisons de retraite : plus efficace qu’une canicule ou qu’une bonne vieille grippe des familles. Une pluie de riffs torpillés par le Motor City Five serait alors à l’origine donc de l’hécatombe fantasmée. Pour la petite histoire, l’album, en plus d’effrayer aujourd’hui le vieux, traumatisa à l’époque toute une génération de gentils hippies découvrant déjà en 1968 une alternative crédible au flower power ambiant. D’une efficacité redoutable on vous dit !
Groupe frère du MC5, les Stooges furent aussi de l’écurie Elektra. Iggy Pop, leur leader élastique, fut même présenté comme le pendant punk de Jim Morrison. Même fascination pour Sinatra, même exploration méthodique de la scène dans une théâtralité assumée qui les fit entrer dans la légende du rock. Et pourtant, le groupe n’a signé que trois albums. Fun House, le deuxième demeure mon préféré. Oh, j’aurais pu vous raconter avec force détails l’apothéose bruitiste tapie dans les cinq minutes de 1970. Non. J’ai choisi pour illustrer mon propos L.A. Blues. Pour plusieurs raisons. Enregistré à Los Angeles en deux semaines, l’album et le morceau en question n’ont rien de californien. L.A. Blues n’est d’ailleurs pas vraiment un blues. Mais une sorte de harakiri sonore, une explosion de gerbe sur les murs d’amplis des studios Elektra Sound Recorders. Une déflagration, une putain de gifle qui promet de chatouiller les joues de nos amis gérontes. Une bouillie pour acouphène. Du larsen pour sonotone. La force tellurique invoquée par les frères Asheton et Steve MacKay dont le saxophone constitue la vraie innovation dans le son du groupe fascine autant qu’elle effraie. Qu’elle sidère. Car c’est bien ce sentiment qui irrigue ce dernier morceau comme pour nous avertir. L’avenir du monde sera sombre. Pessimisme ambiant lié aux racines prolos du groupe originaire de Détroit qu’un voyage californien n’aura pas détourné de la réalité de leur existence miteuse. Car malgré l’importance du disque, le groupe ne connaît pas les affres du succès. Pire, ses membres s’enfoncent dans la drogue. Dave Alexander, le bassiste, ne s’en relèvera pas. Puis, ce sera l’arrivée de James Williamson à la guitare, reléguant le pauvre Ron Asheton derrière sa basse. Reste ce pavé saignant et sexy dont les déhanchements électriques créeront dans les cerveaux alzheimerisés des traumas sublimes. Que demande le peuple ?
Pour finir car la fin est inéluctable, parlons de la fin, enfin, de la figure qui la symbolise le mieux : madame la mort. Chez Melmoth, rockeur français « aux blousons de cuir », elle apparaît multicolore. Issu de son premier et unique album sous ce nom, La devanture des ivresses, La mort multicolore mérite que l’on pousse un peu le volume. C’est la deuxième chanson en français dans le texte dont les paroles promettent de glacer le sang de nos chers ancêtres encore de ce monde. Pas pour longtemps. D’une voix douce et flutée, Melmoth aka Dashiell Hedayat narre l’épopée mentale d’un motard roulant vers le trépas, cerné par les néons clinquants et les clignotements fluorescents du consumérisme auto routier. Image qui n’est pas sans rappeler l’introduction flamboyante de Blade Runner. Futurisme froid, luminescent, et prophétie inquiétante pour la société des hommes. Musicalement, le groupe a tapissé le titre de tintements épars, construisant sur les quatre minutes et dix neuf secondes que dure le morceau une lente progression, montée en impuissance qui mènera Melmoth vers son funeste destin. La voix quant à elle s’accommode parfaitement du verbe dont les images sidérantes passionnent comme ces « stations Martin Luther King où des noirs font le plein » qui semblent répondre « aux soutiens-gorge à profusion ». Poésie moderne, surréaliste aux métaphores fameuses, audacieuses dont le songwriter avait le secret. Souvenons-nous de cette tribune démentielle en hommage à Third de Soft Machine, publiée dans le numéro 43 de Rock’n’Folk. Sur les dernières secondes, La mort multicolore fait son entrer à mesure que la musique se fait de plus en plus intense et que la Langue explose littéralement « dans le fracas des taules » et du rock. Dans le réduit poussiéreux de son appartement, le petit vieux, témoin de cette manifestation surnaturelle et musicale, ne bouge pas d’un cil de peur de voir la camarde frapper à sa porte. Toc, toc, toc…
Ah, j’allais oublier ! Pour porter leurs fruits, ces morceaux que vous allez écouter dès à présent doivent se conformer à la règle suivante, formule désormais consacrée : « to be played as loud as possible ». Bien entendu, je vous recommande d’attendre les heures les plus tardives de la nuit pour les faire hurler. Sans cela, il n’y a pas de harcèlement moral qui soit. Respectez ainsi ces précieux conseils. Effets garantis sur facture, mes amis. D’ailleurs, je m’engage à rembourser tout lecteur qui ne serait pas arrivé à faire fuir ses vieux ou pire, à les achever. Les jeunes, à vos platines ! Les vieux, à vos boules quièses !
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