Creedence Clearwater Revival, les Beatles américains
Si vous croisez au détour d’un quartier de la capitale un jeune homme arborant barbe et chemise à carreaux, vous penserez illico à je ne sais quel rockeur indie parisien, new yorkais ou londonien. Les bobos de Charonne ne sont pas en reste, se déplaçant en bandes à rayures dont les mille couleurs se tracent en lignes proprettes sous leurs coupes au bol soigneusement négligées. Je m’esclaffe, je m’esbaudis en songeant à tous ceux que je croisai ces jours derniers ! Décidément, tout se recycle, y compris les idées ! Car cette invention vestimentaire, ce parti pris capillaire, nous les devons à un groupe originaire du San Francisco des années soixante : Creedence Clearwater Revival. Chez eux pas de guitares savantes, de refrains malades ou de compos intello. Mais un rock catchy, sagouin, graisseux. Leader viril, John Fogerty assure vocaux, solo et compos. Il n’aura fallu pas plus de cinq ans de carrière et sept albums pour faire de Creedence les Beatles américains. A la base, trois amis et deux frères. Les quatre de El Cerrito se rencontrent au collège de cette paisible petite ville californienne. John Fogerty, Stu Cook et Doug Clifford sont tous trois natifs de la même année, 1945, et décident de monter une formation. Les Blue Velvets jouent alors les standards habituels du rock. Ils s’adjoignent les services de Tom Fogerty, frère ainé de John, comme chanteur. En 1964, ils signent chez Fantasy Records, un label San Franciscain indépendant spécialisé dans le jazz. Le co fondateur, Max Weiss, les rebaptise The Golliwogs pour coller à l’image des formations britanniques qui « envahissent » alors les ondes américaines. Quelques judicieux changements s’opèrent dans le line up : Stu Cook passe à la basse, Tom Fogerty devient guitariste rythmique et John s’arroge le chant, les solos et surtout le songwriting. Tom déclarera plus tard : « I could sing, but John had a sound ! ». En 1967, Saul Zaentz propose au nouveau groupe d’enregistrer un album entier qu’il produira. Plus question de sonner anglais, les musiciens composent tout d’abord le légendaire patronyme : Creedence en hommage à un ami de Tom, Credence Newball. Clear Water en référence à une publicité pour les bières Olympia. Et revival pour l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur musique. Que le groupe grave entre octobre 1967 et février 1968. Si Victor Hugo qualifia la musique de bruit qui pense, avec John Fogerty et ses amis, il s’agit de tout autre chose : le cri danse. Surtout dès l’entame du disque. I Put A Spell On You a beau être une reprise de Screamin’ Jay Hawkins, l’interprétation demeure fabuleuse. Section rythmique efficace, Gibson Les Paul aux larmoiements électriques et timbre puissant donnent le ton. En ces temps où les hippies chantent l’été de l’amour, le rock, lui, est de retour. Comme pour les Fab Fours, la musique de CCR se propulse comme une trainée de poudre. Etonnement, là où le psychédélisme se perd parfois en bavardages acides, la formule retenue par le groupe séduit par sa fraicheur, sa « nouveauté ». Fogerty a de plus trouvé un son ; l’électricité se tord sous ses doigts, pleure, crie, raconte cette mythologie du rock sudiste dont les racines prennent source dans le blues. Le génie de Fogerty tient surtout dans ses chansons, courtes, efficaces, avec couplets et refrains, des chansons que l’on chante partout, sous la douche, dans sa voiture en allant au boulot ; des chansons qui doivent beaucoup à cette redoutable invention qu’on prénomme déjà pop music. Seule concession à la mode de l’époque, Gloomy et Walking On The Water ont quelque chose de subtilement psychédélique. Cette impression sera vite dissipée sur le deuxième album, Bayou Country. Réalisé en janvier 1969, il démarre en beauté avec Born On The Bayou. A l’époque, ce morceau de bravoure de plus de cinq minutes hurle dans tous les postes de radio des GI américains dans les rizières du nord Vietnam. Du Bayou épais à la jungle moite, il n’y a qu’un pas. Proud Mary fait suite et prouve quel mélodiste hors pair est Fogerty. Il s’agit tout simplement de l’une des plus grandes chansons du rock américain. John Fogerty, l’égal de Dylan ? Probablement. Car le succès ne s’arrête pas là. La même année ( !), CCR enchaîne avec Green River dont les singles endiablés pleuvent sur la Californie solaire et bientôt toute l’Amérique. Commotion, Lodi, Bad Moon Rising, autant de classiques figurant au générique ! L’année 1969 relève du marathon pour le quatuor. Entre les albums, CCR rode ses nouvelles chansons sur scène, faisant une halte sur la scène estivale de Woodstock, deuxième grand festival de l’ère hippie. Pour finir, en novembre, par réintégrer les studios pour graver leur quatrième opus, Willy And The Poor Boys. La pochette évoque avec tendresse ces groupes de rue qui ont fait, d’une certaine manière, l’Amérique. Clin d’œil des plus cocasses, c’est un public de jeunes enfants noirs qui assiste à la prestation d’un groupe blanc, devant le Duck Kee Market de Oakland, et dont le tour de force fut d’incarner l’esprit rock. Des titres comme Down On The Corner, qui ouvre le Lp, It Came Out From The Sky, Fortunate Son et The Midnight Special sont là pour le prouver. Effigy referme ce classique inusable et de quelle façon. Ces six minutes et trente et une secondes délaissent le blues ou la country pour évoluer dans un rock plus contemporain, aux accents dramatiques, où la six cordes de Fogerty s’y exprime une fois de plus avec une magnifique intensité. Retrouvant l’esprit et la mélancolie de Walking On The Water. Inlassablement, CCR écrit son histoire. Fin 69 et jusqu’à l’été 1970, le groupe travaille le chef-d’œuvre de sa discographie. Cosmo’s Factory n’est pas vraiment une usine perdue dans le cosmos. Mais un entrepôt de Berkeley où le groupe aime à se retrouver. Quant à Cosmo, il s’agit en fait du surnom de Doug Clifford, le batteur. Sur la pochette, ce dernier semble alimenter la dynamo en pédalant, dispensant aux autres membres la sainte électricité. Détail amusant, John Fogerty a pris sa place derrière les fûts, se mettant ainsi en retrait. Pour se consacrer en réalité aux arrangements et à la production. Une contribution renforçant la simplicité et l’impact des morceaux que ne démentent pas les sept premières minutes du disque. Ramble Tamble débute sur un riff agressif pour finir en jam mélodramatique. Pour le reste et comme pour ne pas décevoir les fans du monde entier, CCR livre une flopée de tubes : Travellin’ Band, Up Around The Bend, les deux ballades Who’ll Stop The Rain (référence sibylline à la guerre du Vietnam), Long As I Can See The Light qui clôt magnifiquement l’album dans les remous de claviers. Run Trough The Jungle et son harmonica hypnotique constituent la musique parfaite pour une petite virée dans un fouillis inextricable, à la poursuite du Viêt-Cong. Le climax de Cosmo’s Factory demeure indubitablement I Heard It Through The Grapevine, chanté à merveille par Marvin Gaye quelques années plus tôt. Mais là, le velours a fait place à une matière plus brute. La bande à John Fogerty a réitéré l’exploit de Hendrix avec All Along The Watchtower, s’appropriant une reprise en onze minutes chrono. Une fois encore, Fogerty démontre ses talents de soliste. Comme les Beatles, Creedence fit l’unanimité. Les millions d’albums vendus à l’époque en attestent. En France, les lecteurs du célèbre magasine Rock’n’Folk, qui organise chaque année son propre Référendum, placent pendant trois années consécutives CCR en tête du classement devant les Beatles !!! Avec Pendulum commence le déclin du groupe qui après Mardi Gras, son dernier album gravé en 1972, annonce sa séparation. Le choc. Comme en 1970 avec les quatre de Liverpool. John Fogerty entamera une longue et prolifique carrière solo sans retrouver la magie des années Creedence. Un signe qui ne trompe pas. Il n’y a pas un film consacré aux Sixties qui n’ait dans sa BO un morceau de Creedence Clearwater Revival. Les Beatles américains. Oh Yeah… Yeah, Yeah !
Commentaires
Il n'y pas de commentaires