Des hauts et surtout débat, quelque part entre les pages 66 et 73.
Dans le numéro d’août 2010 du célèbre magazine Rock&Folk s’étalait sur plusieurs pages une discussion des plus singulières. Philippe Manœuvre avait réuni pour l’occasion la crème des spécialistes pour débattre du rock français et du possible retour des Noir Désir comme fer de lance du dit mouvement. Bien que physiquement absent de cette réunion des « boss », je décidais de m’y greffer intellectuellement. La patiente lecture de cet échange nourri entre le rédacteur en chef, Yarol Poupaud, Jean-Vic Chapus, HM et Pacôme Thiellement avait remué des idées dans ma caboche, arguments que je souhaite partager avec vous. Mais avant tout, petit débriefing. Chacun y allait de sa petite théorie sur la mollesse du rock dans notre pays. Pour l’un, la faute en revenait à nos gouvernants, pour d’autres, la presse n’avait pas su donner sa chance à la jeune génération… J’en passe et des meilleurs. « WAKE UP. YOU CAN’T REMEMBER WHERE IT WAS. HAD THIS DREAM STOPPED ? » Ainsi, hurlait Morrison dans la cérémonie du roi lézard. Il serait temps d’ouvrir les yeux. Pour compléter ce bloc de déclarations aussi paresseux qu’indigent, je dirais simplement que le rock français ne peut exister que s’il devient l’exact opposé de la chanson française. Il doit pour cela contourner les règles et les codes, oublier la langue de Molière (seuls Gainsbourg et Dashiell Hedayat parvinrent à plier le français aux contingences du rock), esquiver les ondes des radios pour investir le nouveau champ des possibles du web, s’affranchir des frontières : sommes-nous oui ou non à l’heure de la mondialisation ? Pour s’affirmer, le rock français ne doit pas se fixer des objectifs inatteignables ou se rêver plus grand qu’il n’est. Pouvez-vous me citer dix formations anglaises ou américaines actuelles que l’on pourrait qualifier de groupes du siècle ? En vérité, dans leur laborieuse tentative d’en dessiner les contours, nos chroniqueurs ont engagé le rock français dans une impasse : croire que seule la génération Gibus (Naast, Plasticines, Shades, BB Brunes…) peut en incarner le renouveau. Car avant d’espérer tutoyer les sommets du Génie Musical, de pondre LE brûlot massif et entrer dans la légende, encore faut-il être bon. Tout simplement. N’en déplaise à Jean-Vic. Et tout cela n’a rien à voir avec les tournées difficiles, les lois anti tabac et anti bruit qui frappent nos sympathiques troquets. La raison est plus simple : les personnes suscitées brillent par leur blême médiocrité. Ils ont cantonné le genre dans un registre vain, avec leurs mèches, leurs slims et leurs boots. N’oublions pas : bien qu’ayant tous les attributs de l’épouvantail pouilleux avec ses cheveux blonds filandreux et laids, ses pull déformés et ses jeans éventrés, Kurt Cabain n’en fut pas moins un compositeur inspiré, écorché. Oh, je ne le nie pas, le rock s’est bel et bien construit autour d’une iconographie, des clichés (dans tous les sens du terme). Il fut et reste encore le vecteur d’amusements estudiantins : drogue, picole, baise… Mais pas que. La musique porte en soi une exigence d’écriture, UNE VISION. Que n’ont pas les Gustave Naast et consorts, fussent-ils rejetons de journaliste ou d’ouvrier. De plus, prophétiser l’hypothétique retour de Noir Désir, un groupe prisonnier de son époque, les 90s, ne convainc pas. Pire, cette posture intellectuelle a de quoi inquiéter. Elle place l’avenir dans un passé mythifié, qui a sans doute existé pour les fans, mais qui demeure aujourd’hui révolu. Nous rêvons à des groupes capables de concurrencer les Muse (drôle de rêve), mais savons-nous seulement qu’en France le rock s’épanouit déjà dans les sillons gravés par quelques noms ? Parmi ceux-là, Syd Matters reste le plus méritant. Cette formation s’apprête à sortir son quatrième album, il serait bon de s’en rappeler. Brotherocean que j’ai eu la chance d’écouter est une œuvre concise, cohérente et intense. Est-ce l’album du siècle ou même de la décennie ? Qui s’en soucie ? Les plumes de Rock&Folk ??? L’album trouvera certainement sa place dans la piste aux étoiles du prochain numéro. Et pour cause, chacun de ses morceaux est une œuvre autonome, murie, accomplie. Mais il y a plus frappant. En effet, les orfèvres de Syd Matters ont délaissé un temps les complexes machineries progressives pour recentrer leur propos : Brotherocean est un disque fondamentalement pop. On y retrouve bien entendu la qualité d’écriture de Jonathan Morali, son goût pour les paysages mélodiques aux horizons sans cesse repoussés. Mais il semble que le groupe ait préféré resserrer le cadre de sa musique et le résultat s’en ressent dès la première écoute. Bénéficiant d’un mixage en tout point excellent, le son est chaud, rond, grandiose. Mais dans la lente et complexe étape de production, nos musiciens ne sont pas arrêtés là. Impatients d’innover, ils ont décidé de mettre les voix à l’honneur. Superposées en strates ou en canons, elles donnent à chaque morceau une pulsation, une ampleur incroyable. Des chansons comme Wolfmother, Hi Life ou Hallalcsillag, pour ne citer qu’elles, s’en trouvent subitement incarnées. Faites de chair et de sang. Une autre découverte me plongea dans un état de jubilation quasi enfantine. Chaque titre possède une idée forte qui en régit le principe, lui conférant ainsi une précieuse singularité. Le canon à trois voix sur We Are Invisible, scandé par un clapping hands entêtant, qui donne au morceau un aspect irréel. Les synthés de River Sister qui à la fin partent dans une échappée baroque façon cuivres psychédéliques : un arrangement qu’adorerait Paul McCartney. La bascule qui s’opère dans Lost, avec son piano et son refrain enjoué : un titre qui aurait largement pu figurer dans le White Album. Le final chamanique de I Might Float qui donne l’impression d’assister à une cérémonie indienne un soir de plein lune, au solstice d’été. Le morceau caché à la fin d’Hadrian’s Wall qui se révèle bien supérieur et dont la simplicité émeut. La flûte enjouée de A Robbery qui braque littéralement le titre. Le final électro de Rest, noyé de chœurs échappant alors à l’apesanteur. Enfin, il faut saluer le réel travail effectuer sur l’ensemble des percussions et des parties de batterie (Hadrian’s Wall). C’est le deuxième atout de ce disque sublime. Au fur et à mesure qu’il passe et repasse, je me rappelle l’échange que Jonathan et moi avions eu. Il m’avait confié son désir de revenir à un format d’écriture plus simple évoquant en même temps le boulot d’un McCartney assemblant dans son cottage, entre une promenade en famille et deux tasses de thé, les mélodies de son premier album solo. Je crois qu’il y est parvenu. Alors, je le dis, je le répète, je lance un vibrant appel : à quand Syd Matters en couv’ de Rock&Folk avec, n’y allons pas par quatre chemins, tout un dossier sur ce groupe passionnant et tous ceux qui font vivre le rock français sans pour autant aller fourrer les bottines, qu’ils ne portent pas, au Baron ? Messieurs les spécialistes, la balle est désormais dans votre camp.
Syd Matters, Brotherocean (Because)
http://www.myspace.com/sydmatters
L'album en écoute intégrale ici :
http://www.deezer.com/fr/#music/syd-matters/brotherocean-621190
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