The Coral, misters Butterfly

par Adehoum Arbane  le 29.07.2010  dans la catégorie A new disque in town

En France, on est à fond film choral. A Liverpool, on est à fond pour les Coral. Et pour cause. Le groupe anglais vient d’ajouter un septième opus à sa respectable discographie et ce malgré la perte de Bill Ryder-Jones, orfèvre de la guitare. Suivre un groupe à chaque livraison vous cantonne dans un appréciable confort intellectuel et c’est avec une légère appréhension que je me plongeais dans l’écoute attentive de Butterfly House. L’année comptait déjà de nombreux chefs-d’œuvre mais je ne pouvais me résoudre à exclure les Coral. Tout du moins la chronique. Les douze morceaux passés, je me la jouais penseur de Rodin. Avec cette question qui me taraudait. Faut-il craindre de voir un groupe se réinventer ? Quand on vient pour voir un Tarantino ou un Scorcese, on veut du Quentin ou du Martin. Il en va de même pour les Coral. Pour autant, peut-on admettre de musiciens chevronnés qu’ils se contentent de ressasser la même formule éternellement ? L’angoisse s’exprime précisément à ce moment-là. Déclinaison classieuse ou audace dispendieuse ? On trouve ces deux aspects dans Butterfly House, pensais-je alors que ma tête radieuse quittait la paume de ma main. Tu peux rentrer chez toi, ô Rodin. Car j’affirme aujourd’hui que la magie de l’album résulte de ce délicat équilibre. Reprenons les choses depuis le début, là où l’histoire de Butterfly House commence. Bill Ryder-Jones vient de claquer la porte, adieu ces guitares moriconniennes que nous adulions en bons geeks de l’indie rock. Le groupe est plus que jamais attendu au tournant. Quelle nouvelle option retiendra t-il pour combler cette absence ? D’autant que Roots & Echoes avait joui d’une critique flatteuse (et méritée). Un premier single, éponyme, fait frémir la blogosphère et les fans transis. On se frotte les mains en attendant l’album. Qui arrive par un beau jour de l’été 2010. Pourtant l’entrée en matière ne valide pas vraiment cette hypothèse. More Than A Lover et Rowing Jewel ont l’apparence et le goût du quintet liverpoolien. Ils constituent une entame dynamique, précise, pleine de refrains lapidaires mais s’il l’on y prête un peu plus attention, ils contiennent une matière plus riche encore. Bien sûr la production de John Leckie, qui épaula les Stones Roses pour ne citer qu’eux, y contribue grandement. Des choix sonores délimitant un nouveau périmètre et permettant à la pop d’exploser littéralement, comme si les Beatles étaient passés de A Hard Day’s Night à Abbey Road en quelques semaines. L’instrumentation semble littéralement se fondre pour laisser place à la beauté des mélodies. Comme sur More Than A Lover où les chœurs enregistrés en avant instaurent une aura trouble de rêverie sans fin. Sur Rowing Jewel, l’harmonica, à peine perceptible, se noie dans les sons de cloche. Les lignes de basse, ultra mélodiques, se mêlent aux arpèges de guitare, d’une rare virtuosité. Puis alors que l’orgue plane un max, les voix se brouillent par un effet de filtre, créant une atmosphère typiquement psychédélique pour laisser l’électricité parler quelques minutes plus tard. On n’avait jamais entendu pareille violence chez les Coral comme si le format pop les en avait empêchés. Après un tel déluge, le groupe choisit de revenir à des ambiances plus calmes, le standard de la ballade leur va si bien sur Walking In The Winter où les nappes de mellotron côtoient les cordes acoustiques. Là où la prod’ est exemplaire, c’est dans sa capacité à créer un son compact, cohérent malgré la richesse des instruments que l’on perçoit ici très nettement. Mais ce sont les voix qui se taillent la part du lion avec leurs inclinaisons californiennes. A mesure que l’on avance dans l’album, des convictions se forgent : les Coral ont réussi à produire ce que America cherchait depuis longtemps, un style purement américain ayant assimilé les codes de la pop anglaises. Pour cela, le groupe des seventies avait même traversé l’Atlantique pour enregistrer son premier album éponyme à Londres. Ironie du sort, c’est à un groupe de Liverpool qu’il revient d’explorer cette tradition fondamentalement byrdsienne, la touche country en moins. Il faut écouter et réécouter les premières notes de Sandhills pour que l’évidence se fasse. Premier single, premier morceau de bravoure : véritable symphonie pop de 7 minutes, Butterfly House s’impose comme un chef-d’œuvre de justesse et d’innovation. Début intense, les voix entremêlées se coulent dans cet écheveau sonore avec une grâce inouïe, secondées par un clavecin électrique. Puis à la fin du refrain, cette phrase récitée qui accentue le sentiment d’onirisme irréel, j’ose l’écrire, tant il se propagea comme une voluptueuse décharge électrique sur ma peau. Grandiose, le final rejoue le trip orchestral de Live and Let Die des Wings dans un tourbillon d’électricité que l’on appellerait habituellement solo. Tout cela en trois minutes et vingt et une secondes. Green Is The Colour (rien à voir avec les Floyd) paraît bien fade à côté, mais son refrain fluide nous rappelle à l’ordre : les Coral ont le mojo. Ils ont le truc pour écrire de bonnes chansons, ce qui est pour reprendre les mots d’un spécialiste « le secret ». Une fois encore, les paroles s’estompent dans les vapeurs musicales comme les brumes sur le Golden Gate de San Francisco (le phasing discret). Falling All Around You surprend avec sa guitare que des notes de piano viennent caresser. Cette idée d’arrangement trouble nos sens, faisant oublier le côté « groupe de fan des sixties ». Alors que le piano résonne seul dans le silence du studio, les Coral frisent le mystère de l’intemporel. Ils prouvent qu’il suffit de peu pour instaurer ces splendeurs que nous avions tenues autrefois pour acquis, à l’époque lointaine des singers songwriters. Two Faces est le morceau qui décline le plus fidèlement le style Notorious Byrd Brothers, paru en 68 alors que Crosby était parti vers d’autres aventures rock. Classiques autant que classieuses, ces douze cordes mirifiques des années 66-68 tissent une trame séduisante conférant au titre le potentiel d’un hit. Il faut attendre la neuvième chanson pour venir perturber la limpidité qui émane du disque. Avec ses tournures vaguement inquiétantes, façon garage rock lysergique, She’s Comin’ Around détonne quelque peu : riff vrillé, orgue aigrelet, voix méchamment nasillarde (Sky Saxon sors de ce corps), les Coral assument un peu trop leur goût du pastiche malgré les qualités honnêtes du morceau dont la fin, aux accents country, désamorce la prétention drogué du début. Mais le meilleur reste à venir : 1000 Years et Coney Island emmènent nos musiciens dans des contrées inexplorées et cela pour notre plus grand bonheur. Tout d’un coup, la linéarité cristalline de 1000 Years subjugue. On est bousculé par le groove de l’introduction, puis l’on retombe sur un tapis volant au-dessus d’un éther, apesanteur rappelant le Eight Miles High des Byrds mais avec sa propre singularité car là aussi, la guitare dynamite cet édifice complexe par ses inflexions presque hard. Deuxième raison d’espérer un avenir meilleur pour nos cinq garçons : Coney Island. Entre la rythmique élastique, le xylophone omniprésent et les voix conjuguées, l’impression de rêve éveillé ne fut jamais aussi intense qu’à ce moment précis. L’idée de la slide en lieu et place des habituelles distorsions paraît géniale, et sans crier gare, alors que nous sombrons dans une molle transe, le morceau se mue en fanfare anglaise dirigée par le sergent poivre mais avec cette mélancolie new yorkaise propre aux décors abandonnés du parc d’attraction de Coney Island. Le disque touche à sa fin. Trop vite à mon goût. Malgré l’étourdissante transition empruntant le riff de Hard Day’s Night, enhardis par leur propre velléité créative, les Coral s’engouffrent dans une jam de plus de six minutes. Et l’on s’y perd un peu. Etait-ce nécessaire ? Là où l’ineffable beauté commençait à imprimer sa marque ? On se demande. Une chose est sûre : quatre titres ont ambitionné de passer outre l’alchimie passée, à l’époque où Bill Ryder-Jones trustait la place d’arrangeur. Quatre chansons différentes, avec des partis-pris. Et les groupes de parti-pris ne courent pas les rues. Pour cela, on oubliera le péché originel du revivalisme. A l’heure où l’on singe plus que de raison les sons  80s et 90s, la disco, la motown, la new wave, la house ou le punk, se ressourcer dans le terreau de la pop 60s relève de l’audace. La seule, la vraie.

The Coral, Butterfly House (Deltasonic)

coral_butterfly.jpg

Clip de 1000 Years :
http://www.youtube.com/watch?v=baH0SWCFVzo&feature=related

Album preview :
http://www.youtube.com/watch?v=8N2YuBKMZ2s


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