Le rock a toujours été affaire de concept, de formule. Bien avant les festivals et l’avènement des super groupes (aujourd’hui, on y revient à grands pas), il y eut le temps des power trios. Power trio, power trio… Bien sûr on pense tout de suite au Jimi Hendrix Experience, à Cream. Une guitare électrique, une basse, une batterie : l’équation parfaite, simple, lapidaire comme ces trois bonnes vieilles mesures, et qui sut très vite s’adapter aux canons vaporeux du psychédélisme. Après cette brève remise à niveau, venons-en au fait. Tame Impala nous vient d’Australie, ah bon : y aurait-il au pays des kangourous des trésors inconnus comme, par exemple, des hippies en slip balançant d’épaisses chevelures sales sur des riffs un brin planants ? Outre le petit clin d’œil à Impala Syndrome, formation du Chicago psyché des années 68-69, Kevin Parker, Dominic Simper et Jay Watson lorgnent plutôt du côté d’Eden’s Children, un trio (héhé) tout droit sorti du Boston des années 67-68 (ahah). Abrasifs et éthérés, les onze morceaux d’Innerspeaker, le haut parleur intérieur (ouhouh), oscillent entre psychédélisme jazzy et pop simplissime, le tout enrobé dans les six minutes réglementaires qui président à tout départ en vrille. On pense aussi à toutes ces formations qui traînaient à l’époque du côté de Carnaby Street dans leurs kaftans merveilleux. Nous évoquions plus haut la Crème, Clapton, Bruce, Baker mais l’on pourrait également citer The Attacks, The Five Day Week Straw People au psychédélisme cool et non violent. Tout concourt à rappeler cette époque bénie sans pour autant, je vous rassure, sombrer dans les facilités navrantes et vaines du revivalisme. Sans autre fard, nos trois compères ont trempé leur plume sobre mais savante dans les chaudrons béants de la Grande Défonce. Mieux encore, leur site définit leur approche comme du « psychedelic hypno-groove rock music ». La pochette représente d’ailleurs ce qui se fait de plus singulier en la matière. En lieu et place des habituelles typos globulaires et des couleurs flashantes vrillées d’arabesques art nouveau, un paysage étrangement bucolique semble se déplier à l’infini comme la focale d’un appareil photo argentique. Passée l’impression kaléidoscopique de l’artwork, on se laisse caresser dans le sens du cheveu, long bien sûr, par les chansons, simples mais intenses. Rien de pire qu’un psychédélisme débarrassé de l’idée, j’entends par là couplet/refrain. Les premiers morceaux donnent le ton, on est pris en main puis après, c’est parti pour une heure de trip total. Premier morceau It’s Not Meant To Be : entrée en matière du genre préparation à l’extase sur la base d’une batterie peu avare de ses cymbales, d’une basse ultra mélodico-jouissive et d’une guitare voluptueuse. Desire Be Desire Go quant à lui s’emploie à malaxer l’espace temps : riff efficace, refrain climatique comme si à chaque fois nous plongions dans une sorte de trou noir pour débarquer dans une autre galaxie jamais encore foulée du pied. Et c’est le cas, le pied, on le prend à nouveau avec Alter Ego, aux ambiances très Abraxas. Tropicalisme moins ludique que lysergique dont les ambiances solaires collent parfaitement avec l’esprit de la pochette. Moiteur planante, chaleur élastique des corps qui s’étirent sous l’effet de substances qui n’ont rien à voir avec le classique et inoffensif Copacabana. Quand Lucidity déboule, on se trouve submergé par une coolitude toute jubilatoire : on se marre, on en tremble comme lorsque l’on aspire une pleine bouffée d’afghan. Le plus frappant dans ces morceaux, c’est la voix qui ressemble étrangement à celle de John Lennon période Strawberry Field Forever d’où cette patine anglaise qui donna à de nombreux journalistes l’impression d’écouter un vieux Kinks. Aucun rapport ici avec cette Angleterre à jabots trop occupée à cultiver ses jardins et à meubler ses cottages. La deuxième face se perd un peu en route, psychédélisme oblige, mais reprend pied dans les dernières minutes sur la base du même contrat mélodique. Plus court, Why Won’t You Make Up Your Mind se la jouerait presque single, c’était sans compter par son intro d’une minute. Sur un morceau en comptant trois, ce n’est pas rien. Là encore, la guitare dissèque la nuit avec son médiator/scalpel et c’est foutrement bon. Sur la fin, les guitares se multiplient grâce à des re-re plus que bienvenus. Toute la science du studio est ainsi mise à contribution. Solitude Is Bliss et son entame filtrée au phasing sonne très Jimi Hendrix Experience période Axis Bold As Love. Noël Redding serait-il à la basse ? Héhé… Petite pause avec l’instrumental Jeremy’s Storm qui semble venir d’ailleurs pour repartir de la même manière et l’on se trouve face à la pureté cristalline de Expactations et de son refrain angélique. Quelques boucles de clavier enrobent judicieusement le tout comme un ruban de paquet cadeau à Noël. The Bold Arrow Of Time assume la violence d’un Blue Cheer, fuzz vrombissante, schéma musical radicalement blues, et il faut un final façon hiden track pour retrouver la paix de l’âme, guitare acoustique et synthé céleste étrennés. Runaway, Houses, City, Clouds part en live, je veux dire, s’embarque dans un long voyage sonique parfois bruitiste. Une fois de plus, c’est Carnaby Street qui s’impose avec I Don’t Reall Mind dont le pont totalement synthétique vous satellise de suite. En résulte un album diablement homogène qui perpétue le genre sans génie mais avec talent, modernité et entrain. Qu’on ne s’y trompe pas, Tame Impala a réhabilité, comme beaucoup d’autres avant, le disque à solo. Alors que le rock, en ce début de millénaire, croyait mordicus en ses guitares minimales, il s’est aujourd’hui très vite rattrapé en laissant la part belle aux explorations électriques et sans jamais tomber dans le piège de la jam inepte. Excellente nouvelle : Innerspeaker est un cri qui vient de l’intérieur.
Tame Impala, Innerspeaker (Modular)
Commentaires
Il n'y pas de commentaires