En 1967, le slogan fut cinglant et un peu vain : « Etes-vous Stones ou Beatles ? ». Aujourd’hui, la question se pose en d’autres termes : « En 2009, êtes-vous Beatles ou Julian “le soit disant songwriter de l’année ” Casablancas ? ». Entre autres. Ni la sécheresse des idées ni les basses compromissions d’une petite partie de l’intelligentsia rock n’auront raison de ma détermination. Dans le grand déballage de la morale bon marché qui resserre sur l’esprit indépendant l’étau même de la tyrannie, l’indépendance, la singularité, l’audace et l’honnêteté m’apparaissent comme autant d’aiguillages invisibles visant à ne jamais dévier de l’essentiel. Et l’essentiel est ici, entre nos mains, nous y sommes confrontés ; saurons-nous lui faire honneur, accepter sa douce vérité ? N’en déplaise aux parangons de la pensée unique et eunuque, Les Beatles sont le groupe de cette année 2009, irrémédiablement plate comme une veille poitrine trop livrée aux fiers appétits des bouches livides et ingrates. Nous avons été séduits par quelques groupes, en France (peu) et de l’autre côté de l’Atlantique (un peu plus), mais c’est en Angleterre que ce théâtre sublime s’est joué. Oh, me direz-vous la plantureuse réédition des Beatles, en deux coffrets mono et stéréo, avait tout de l’odieuse et fallacieuse campagne marketing. Il est vrai que certains intérêts président à toute velléité créative, à Paris comme à Londres. Et pourtant. Au-delà de la performance technique (est-ce fondamental d’entendre l’écho de la pédale de Ringo et le feulement des peaux caressées par ses baguettes ?) et des sorties de circonstance (les fêtes de Noël en l’occurrence), cette actualité-là s’impose. Dans leurs nouveaux habits technologiques, les quatre de Liverpool sont aussi frais qu’une rosée de printemps, aussi fringants que Marcello Mastroianni et Anita Ekberg à Rome, aussi géniaux que tous les génies du monde réunis. Ils sont devenus par l’entremise d’ingénieurs sourcilleux des contemporains à part entière et prouvent ainsi que le talent ne s’improvise pas. Il n’est pas héréditaire, encore moins acquis comme les plaintes des laborieux obsédés par leurs minables droits, il demeure le fruit tant mérité du labeur, du doute, de la construction-déconstruction-reconstruction qui en découle. Treize albums qui racontent cette histoire de la pop et qui resurgissent aujourd’hui plus flamboyants que jamais, bien loin de la plèbe en slim, distancée par tant de facilités : celle qu’elle n’aura jamais.
Cette déclaration (d’amour) sera sans doute perçue comme affreusement réac’ et suscitera l’effarement, que dis-je, l’ire des petites ligues de vertu du rock qui bandent au moindre crachat d’électricité. Je tiens à mentionner la vacuité totale dont ils font preuve à l’occasion des classements de fin d’année qui sont souvent l’objet de tous les débats. Voir des groupes comme The XX ou des films comme Twilight, dont l’indigence arrive malgré tout à remplir le cerveau sucé de la jeunesse occidentale, classés en bonne place me laisse imaginer la corruption régnant dans ce milieu de prétendus incorruptibles. Misère de notre nouveau siècle qui célèbre des artistes exposant au regard voilé du monde des murs de vêtements, comme si la créativité n’était qu’une vaste friperie sentant la pensée renfermée, aride, vidée de tout esprit critique. Heureusement les Beatles semblent être nés pour nous sauver (ainsi que la réputation de cette année passée). Rubber Soul qui déroule ses mélodies savantes dans mon cortex confirme ce que je viens de démontrer, comme Help avant et Revolver après. Si le réactionnaire est cet homme en réaction alors je le suis, je réagis, tout mon épiderme répond à l’appel de la pop qui trouva en la décennie 60s ses lettres de noblesse : l’insolence et le talent furent en ces temps décorés par la reine Elizabeth II. Ironie du destin quand le symbole de la jeunesse et de la modernité se voit récompensé par celui du conservatisme le plus assumé. Aujourd’hui encore, l’œuvre des Fab Four fascine ayant survécu aux outrages répétés du temps pour éclater à nos oreilles plus intense que jamais. Le format de la pop song, court et incisif, leur doit tant ; il apparaît ainsi d’une intemporalité, d’une actualité telle qu’il renvoie tous les copieurs loin derrière, dans les labyrinthe du conformisme le plus standardisé. Car entre temps, la musique s’est industrialisée, les Beatles ont à peine effleuré le phénomène. Il apparaît en 2010 comme ce monstre toujours avide, plein de mesquine gloutonnerie et prompt à falsifier le geste créatif pour le jeter ensuite sur les étales du grand commerce mondial. Plutôt que de nous laisser happer par ce tourbillon mercantile, il est préférable de se calfeutrer dans les moindres recoins, à raison de huit faces, du white album. Sa pop intimiste console quand dehors le monde désole. Derrière son apparente simplicité, c’est la finesse qui triomphe comme un radieux soleil. Chaque musicien s’est employé à livrer ses compositions les plus personnelles. Certaines se fardent de mélancolie (Julia, Long Long Long), d’autres naviguent dans des eaux plus troubles où les tempêtes balayent inlassablement des paysages contrariés (While My Guitar Gently Weeps puis à un niveau de violence supérieur Helter Skelter). Jusqu’au bout et même au-delà de leur mort artistique, les Beatles ont tout osé, ils ont invariablement créé, expérimenté, repoussant les limites d’un format dont nous savons aujourd’hui qu’il trouva sa formule idéale, son état de grâce, dans ces quelques trois minutes. Il n’y a là aucune nostalgie. Je ne cherche pas à me complaire dans un passé fantasmé que je n’ai tout bonnement pas connu. Non. Je cherche à trouver un sens à mon époque, un esprit. Ces années 2000 qui furent celle de ma maturité, de cet âge adulte tant espéré, je les espère innovantes et singulières. Je voudrais une autre révolution qui bouleverse l’ordre du monde sans le passer au shaker dans un cocktail d’impressions mêlées, non réinventées. Je veux pouvoir dire fièrement à mes petits enfants : « Les Phrumbles, c’était ma génération ! ».
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