One Ring Zero, my own my precious
par Adehoum Arbane le 26.11.2009 dans la catégorie A new disque in town Chapter One
Here in Brooklyn, there’s a band who create a ghotic pop with tremendous trumpet and baroque accordion. They call themselves One Ring Zero. Michael Hearst and Joshua Camp, the leaders, love to play klemzer darkly melodies with so many instruments you cannot imagine even in your wetty dreams and… Bon, arrêtons ce jeu de massacre. Chroniqueur je suis il est vrai, et je fais montre d’un certain talent en la matière. Mais je ne suis ni Paul Auster, encore moins Herbert Huncke. Continuons notre petite affaire dans la langue de Johnny Molière.
Chapitre 2
Délicat bouquant des Balkans ? Non, ils viennent de Brooklyn. Ont-ils les apparats hype des musiciens de la dite scène ? Non, ils portent costumes et chapeau avec des airs de rats de bibliothèque : ce que l’on appelle des nerds. Tels sont les cinq musiciens de One Ring Zero. Pour tout vous dire, je les avais rencontrés un soir de bacchanales rock’n’rollesques alors qu’ils jouaient dans une petite salle parisienne, déposée par les dieux à l’adresse du 17 boulevard de Strasbourg, Paris 10e. L’archipel était à la base un cinéma indépendant qui accueillait également les groupes de passage. Mon camarade dandy Charles-Baptiste assurait la première partie, tâche dont il s’acquitte habituellement à merveille : ce fut encore le cas ce soir-là. Je me rappelle du jour où j’ai découvert la musique lettrée de One Ring Zero. C’était précisément en compagnie de Charles-Baptiste. Je buvais avec lui un excellent vin, un Meursault je crois, et entre deux gorgées, nous échangions des pensées profondes sur le rock progressif et la musique en général quand l’idée lui vint de dépuceler mes oreilles 60s. Il avait en sa possession un curieux objet, une sorte de livre disque d’un groupe dont j’ignorais jusqu’à l’existence, sentiment extrêmement frustrant pour un geek de ma trempe. Il posa la précieuse galette numérisée sur sa platine qui l’avala aussitôt dans un accès de gloutonnerie télécommandé. Le disque commença. Une courte introduction bancale et radiophoniquement passionnante fit office de présentation avec les membres de One Ring Zero. As Smart As We Are, tel était le nom du disque. Smart, élégant quoi. Il est vrai, pensais-je ne moi même. Natty Man Blues, le deuxième titre, nous entrainait dans une valse mélancolique dont les instruments hétéroclites utilisés par les leaders apportaient cette touche macabre, fondamentalement originale. Comme si Being for the Benefit of Mr. Kite! avait été enregistré dans les studios de la Hammer, Bela Lugosi aux commandes. Cette impression affreusement délicieuse se prolongeait comme une romance anglaise victorienne. J’étais sous le charme, je dansais moi-même dans un cimetière, prenons par exemple celui de Père Lachaise, dans les bras de Sarah Bernhardt alors que Chopin lui même jouait sur un vieux piano bastringue des airs de fêtes foraines scabreuses. Des harmonicas westerniens se mêlaient à des accordéons bleus, le theremin, ce curieux instrument tactile, dessinait quant à lui des montagnes russes mélodiques. Je me sentais partir. Etait-ce l’effet du vin ou celui des substances agricoles que mon comparse et moi avions respiré comme des narguilés orientaux, en quête de chimères et autres fantasmagories ? Il y avait forcément des deux. Nous nous baladions dans cet album, entre couplets étranges et refrains cabarets. Il convient de préciser que One Ring Zero semble se passionner pour une certaine pop d’un autre temps mais leur démarche demeure exemplaire : jamais ils ne sombrent dans les tourments séduisants et les facilités infamantes du revivalisme le plus entendu. Une petite bouffée nous fit pouffer. Les textes entraient par nos oreilles pour aller caresser, triturer nos cortex respectifs. Michael et Joshua avaient ainsi convoqué la crème de la scène littéraire new-yorkaise, Paul Auster, Margaret Atwood, pour écrire les paroles de leurs bouillonnantes chansons. Nous en étions à Frankenstein Monster Song. La voix grave et haute de Michael donnait corps à ce personnage monstrueusement recomposé dans un passé que nous goûtions à la manière d’un thé chez Mary Shelley : « Percy, mon amour pourrais-tu nous apporter du sucre ? », lui dirait-elle sur un ton malicieux. Joshua enchaîna sur une pure country song, Blessing, et nous jouâmes alors des épaules comme si nous étions vautrés dans des rocking-chairs à contempler le coucher de soleil sur les blés d’or de la terre. Je ne pouvais me départir d’un sourire narquois à l’écoute du refrain « Bless the people in the art galleries, bless now the cancer of the bone… ». On The Wall était sans doute le joyau qui, parmi tant d’autres, me toucha le plus car le rire drogué fit place à une larme, constellée de plusieurs qui refusèrent alors de tomber, une larme donc, une seule : un diamant. Joshua était au piano (enfin dans le disque) mais il nous semblait que l’homme à la voix de jade nous accompagnât à cet instant précis. Les derniers titres s’égrenèrent en fines pluies d’accords doux-dingues. Après nous être auto congratulés pour cette excellente soirée, je quittai mon ami pour m’en retourner chez moi, il était tard, la nuit était claire et haute. L’air vif mais chaud. Le vin battait dans mes tempes, As Smart As We Are tintinnabulait dans mes yeux.
Chapitre 3
On stage. Pas d’inquiétude, il n’y aura aucune tentative shakespearienne dans ce plantureux paragraphe. Mais je me dois d’en revenir au premier sujet du chapitre 2 qui fait donc logiquement l’objet d’un troisième volet. Le concert de One Ring Zero à Paris. L’archipel était un long couloir qui débouchait sur un guichet cerclé de verre à l’intérieur duquel une jeune femme comptait inlassablement les tickets qu’elles devaient impérativement vendre. Je me présentai. Et lui indiquai sur quelle liste mon nom se trouvait. J’entrai en longeant la salle, le set de Charles-Baptiste avait déjà commencé. Aussi me faufilai-je avec l’aisance suave et muette du félin pénétrant le rideau d’étoiles de la nuit pour une partie de chasse façon Comte Zaroff. Un détail retint mon attention. Une vieille dame, enfoncée dans son strapontin, tapait du pied cédant dans un sourire coupable à l’immoralité coquine des paroles du jeune dandy. Une fois de plus, la pop se parait d’un noir habit de cabaret et les paroles toujours acides s’alignaient en gracieux parements. Le show prit fin dans les clameurs et l’hystérie collective. Le front man alla boire un verre de vin tandis que les membres de One Ring Zero s’afféraient sur la scène, testant qui un micro qui une guitare. Et la fanfare pop déploya dans l’espace ses ormes de barbarie, les sons et les refrains que j’avais jadis découvert et aimé. Je retrouvai avec un bonheur espiègle les mélodies intactes comme de beaux fruits après la récolte. Il était fascinant de constater à quel point leur musique se prêtait admirablement bien au jeu du live, avec une exactitude et une rigueur toute new yorkaise. Je retrouvai aussi les délices de On The Wall qui me rappela un court instant, piano et voix, les merveilleuses chansons de Randy Newman dans Sail Away. Je m’abandonnais progressivement à ce théâtre fascinant comme une vierge du middle west quand un premier rappel vint troubler ces ébats. Le concert allait toucher à sa fin, la salle entière applaudit à tout rompre, suppliant la formation de rejouer tout l’album. One Ring Zero remonta sur scène, le temps d’une dernière salve d’accords majeurs. Quelques minutes plus tard, Charles-Baptiste me présentait aux deux leaders et expliquait, en anglais, mon statut d’écrivain rock, mon penchant immodéré pour les phrases à rallonge façon Jim Proust et mon amour pour les adjectifs, adverbes et autres oxymores nébuleux. Après avoir échangé quelques affables amabilités dans un carambolage phonétique de mots anglais mal maîtrisés, je quittai Charles-Baptiste et les deux petits frères de Boris Karloff. La nuit était épaisse comme une chantilly montée par Tim Burton. La bouche de métro ne fit qu’une bouchée de moi.
One Ring Zero, As Smart As We Are (Soft Skull Press)
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