The Horrors, couleurs & analyses primaires

La presse est folle, les fans y croient, le microcosme rock commence à s’agiter d’une fièvre aussi iconographique que la pochette de Primary Colours. The Horrors auraient pondu l’album de l’année ? Possible. Et les nombreuses références de s’afficher, Seeds, Jesus And Mary Chain, Cure, Joy Division, j’en passe et des moins pointues. Avec ses escaliers soniques, ses tourbillons vaporeux et ses grands huit synthétiques empruntant largement aux courbes désertiques de Coney Island, l’album a de quoi séduire, malin même, il se paye le luxe d’un single, long tunnel de 7’59’’, Sea Within A Sea. Choix classieux. Ouais, vraiment classieux jusque dans l’obsédante posture que les musiciens affichent calmement dans leur clip très arty, façon Factory de Warhol. Exploding Plastic Inevitable. Autre référence ultime. Il est vrai, l’écran est éblouissant de splendeur noire où chaque note n’est que rougeoiement épidermique, sensation dont Geoff Barrow, le producteur éclairé dans cet abîme d’électricité touffue, est à l’origine. Jusqu’à la pochette qui rappelle le Pornography des Cure, tout transpire l’ascendance rock. Mais ce réflexe est-il vraiment viable, ne cédons-nous pas trop souvent à la facile comparaison qui nous affranchit de tout raisonnement un tant soit peu profond ? Je ne crois pas et en bon journaliste, j’ai une autre théorie à vous proposer. Regardez attentivement le visage de corbeau poupin de Faris Badwan, on dirait une sorte de Pete Townshend blafard, quant à ses mèches rebelles cinglant son visage, elles rappellent le Todd Rundgren de 1968, période Nazz. Vous me direz qu’entre le son des Who ou la prod’ léchée d’un Rundgren et les mélodies toxiques des Horrors, il y a un océan si vaste qu’il semble infranchissable. Et je réponds à cela par la positive, en effet rien ne vient rapprocher les trois artistes et leurs univers distincts mais merde, pourquoi passer trois plombes et 3000 signes à rédiger le même dithyrambe foireux que l’on peut lire en ce moment dans la presse ou sur Internet, pourquoi se borner à réécrire ce qui est couché consciencieusement dans le dossier de presse, les Horrors méritent mieux, en tout cas, leur effort louable pour sortir du cliché goth justifie une approche, disons, plus créative de la chronique, car je peux vous le dire, cet album, Primary Colours, a tout de la foutue addiction ! Je ne prétends pas par là que nos cinq échassiers aient rédigé les 10 plus belles mélodies et que leur songwriting nous ferait oublier pendant l’espace d’une improbable seconde le génie du duo Lennon/McCartney. Non. Mais, il ne faut pas plus de 10 titres pour qu’ils esquissent quelques langoureux hymnes primitifs que nous sifflerons tout l’été, un été en demi-teinte certes car les Horrors n’ont pas l’air de se marrer tous les jours, quoique… Pourquoi donner raison à toute cette merde de mythologie rock ? Pourquoi Faris et ses petits potes ne donneraient-ils pas dans le ton primesautier, pourquoi ces esthètes de la noirceur ne seraient-ils pas présentés sous un autre jour, loin de la nuit à laquelle ils semblent adhérer comme une semelle de bottine sur un trottoir de galère, par exemple en train de faire la vaisselle, de regarder Des chiffres & des lettres ou une autre daube télévisuelle ???? Tout le monde pense à tort que Marylin Manson passe le plus clair de son temps à torturer des petits chats les soirs de pleine lune, mais non, le mec doit ronfler la nuit, péter au lit et même lire le Washington Post confortablement lové dans ses charentaises et en murmurant d’une voix douce un mélodique « Chérie, qu’as-tu préparé de bon pour le déjeuner ? ». Au fond, on peut bien palabrer sur le genre, croire dur comme fer à la rock attitude, rêver que nos petits gars sortent du lit peignés comme sur les photos glacées, on peut continuer à écrire « Ils sont les dignes héritiers de My Bloody Valentine et blablabla » ou « Ça sonne comme les Cure et patati » voire même les « Un album sombre parfaitement en accord avec son temps, crise du XXIème oblige ». Arrêtons cette immense pitrerie tout juste bonne à faire réfléchir les bobos du buzz et autres défenseurs du Tout Brooklyn. Stoppons les machines, omettons sciemment d’imprimer ce déversement ordurier et référenciel sans quoi nous allons nous vouer à la sécheresse intellectuelle, nous allons nous éloigner progressivement de cette intuitive émotion qui doit présider à tout bon pamphlet. Moi, j’aime Primary Colours pour une seule et lapidaire raison déjà citée : à l’heure où la lâcheté promotionnelle prévaut, où les artistes se murent dans un conformisme terrifiant adoubé par des légions de directeurs artistiques aussi frileux qu’incultes, où chacun défend son pré carré à grands coups d’ambitions petites, The Horrors partent défendre leur album sur les ondes avec un seul single de 8 minutes, judicieusement placé en fin d’album comme pour épuiser les moins patients d’entre nous, ceux qui décrochent au bout d’un double clic sur iTunes suivi de trois petites secondes. Car tout doit s’attendre, l’écoute d’un album est un tout, une épreuve qu’il faut traverser avant de prononcer ces mots « sésame, ouvre-toi » et de découvrir les plus précieux trésors de l’esprit. Moi je dis, ça c’est rock.

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