Enfin une formation de Brooklyn qui ne donne pas dans l’electro tapageuse, évitant ainsi la citation sur bandeau avec grosse typo du genre « Les nouveaux MGMT ». Ces purs génies évoluent disons-le dans un style plus éthéré, presque atonal, irréel où chaque instrument n’est que feulement, caresse presque abstraite. Il faut saluer Warp, excellent label electro, d’avoir ouvert son sérail de bidouilleurs robotiques à une formation comme Grizzly Bear, pas vraiment americana, pas totalement pop, presque folk mais aussi vaste qu’une carte du monde où les scintillements vus du ciel sont autant de directions musicales. Merveilleusement chantées, les chansons à tiroirs du groupe nous propulsent dans un ailleurs quasi silencieux, tout n’est que nébuleuses dorées, comme si Grizzly Bear avait voulu créer une musique de l’indicible, minimale, à la manière des estampes chinoises ou des trames pastel des grands maîtres du japonisme. Two Weeks et sa musicalité miraculeuse en pluie de notes électriques. Dory et son introduction magique, à cappella, suivi d’accords en rupture, la chanson ne tient qu’à un fil, à une corde vocale, celle du chanteur qui se transforme en paladin céleste. Les titres s’enchaînent aussi fluides qu’un ruisseau, Ready, Able et ses claviers étirés en trames immenses et sonores, et il suffit d’un seul tremblement de voix pour que le morceau change de direction. On songe alors à une musique improvisée, captée sur le moment, mais à y prêter une oreille de plus en plus attentive, on ressent la complexité de ce précieux canevas, aussi ineffable qu’une aurore. Enchevêtrement d’idées qui témoignent d’une grande maîtrise de l’art de la production même si le son, ample, plein, pourrait trahir un certain goût immodéré pour l’expérience lo-fi. Veckamitest est, disons-le, un album fondamentalement et intrinsèquement excitant, aux partis pris nombreux, riches et inventifs, une démarche assez rare pour être notée et l’année qui avait démarré paresseusement semble ainsi vivre une accélération : ne prétendons pas habituellement que les périodes de crise sont propices à la réforme (des esprits et des esgourdes) ? Signes indéniables, petit un, l’album est tout naturellement pressenti pour figurer à mon palmarès des meilleures contributions de l’année, et en bonne place, sans doute à la première ; petit deux, je me suis employé à chercher méthodiquement une once de référence implicite dans ces douze tableaux, mais je n’ai rien trouvé. Un grand groupe se reconnaît à ce petit détail-là. Être tout sauf l’énième incarnation d’un écrasant aïeul. Veckatimest comme Yellow House est un tout, une œuvre définitive, inclassable et cohérente, une constellation dont chaque titre est à lui seul une galaxie propre. Veckatimest, une vision. (Bordel, je cherche encore la signification de Veckatimest : si quelqu’un a la bonté d’éclairer ma lanterne, je lui en saurai gré. Merci).
J’ai cherché pendant longtemps un angle pour introduire le très réussi premier album des Obits. Oui, j’ai hésité entre : « Non, les Obits ne sont pas des nabots à pieds velu séructant des chansons paillardes tout en songeant au prochain repas »… Et : « La débauche d’électricité rock est-elle compatible avec une logique de développement durable ? Vous avez deux heures »… Et même : « Un bon rock, c’est un morceau qui commence fort et qui finit bien »… Ou : « Bordel, ces rockers sont cons comme des burnes, ils auraient pu appeler leur formation Orbits parce que là mes kids, je suis satellisé direct ! »… Et aussi, j’allais l’oublier celui-là : « L’important n’est pas de révolutionner la musique (z’allez dire que je déraille sévère à vous fourguer toujours la même citation), mais que les guitares sonnent cool ». Oui, autant d’interrogations blêmes qui suivirent le moment où je fus plongé dans un état de sidération à l’écoute de ce rock sec : après quarante et une minutes et cinq trépidantes secondes et quinze années à écumer la scène rock US, ces mecs matraquent encore comme une bite d’adolescent au réveil (a écrit le un jour poète). Ouah. Ouf. Hé hé… Bon, que dire de plus à part « bordel de merde, qu’attendez-vous pour courir vous procurer ce chef-d’œuvre de pur rock’n’roll chez votre disquaire le plus proche, et en vinyle, vous ajouterez à la fierté hype la classe la plus totale ». Revenons à nos lascars. Leur cas est réglé (au cordeau) : une batterie mixée très en avant, une basse qui se déhanche, aussi gluante que le bayou tout entier, et deux guitares qui se partagent les soli en fiévreux dialogues façon Capulet et Montaigu. Ajoutez un chanteur au timbre méchamment vicieux et en gros vous avez la formule déclinée par les Obits sur leurs douze titres ; formule au combien magique fallait-il préciser. Une tracks list à 12 titres, je ne cesse de le dire, est à mon sens l’équation parfaite d’un album, et surtout en matière de rock, où l’urgence se révèle le plus souvent fondamentale : le premier album des Stooges ne dure que 34 minutes, tout juste. Widow of My Dreams, Pine On, Fake Kinkade, Two-Headed Coin, Run, I Blame You, Talking to the Dog, Light Sweet Crude, Lillies in the Street, SUD, Milk Cow Blues et Back and Forth en sont les principaux temps forts, merde, je viens de citer l’album entier, ok, résumons, tout est bon, rien n’est à jeter. Certes, il ne faut pas chercher ici la puissance d’un songwriting autobiographique ou un sens affûté de la mélodie, non, ces chansons sont faites pour bouger son corps, pour provoquer une bagarre de rue ou pour montrer tout simplement aux filles les plus motivées qui est le patron, le boss. Et avec Widow of My Dream et Two-Headed Coin, la messe est dite et les ouailles à longues chevelures lissées, aptes à faire virevolter orageusement leurs jupes. Ces deux morceaux se hissent au-dessus du lot, et le lot est croyez-le de très haute volée. C’est dire les qualités évidentes de ces deux joyaux électriques, Widow of My Pain, nous rejoue un air connu, entre Syd Barrett et James Bond, puis barrit (héhéhé) à la cinquantième seconde ses accords soniques dans un délire flirtant avec un psychédélisme psychotique, quant à Two-Headed Coin, l’intro vaut à elle seule le prix de ce disque, rythmique élastique, riffs autopsiés à grands coups de médiator, ambiances noires et cinglantes, comme une échappée en ville alors que minuit sonne et qu’une bande de loubards armée jusqu’aux dents vous talonne dangereusement dans un jeu de piste dont on sait à la fin qui sera la victime. Succombez donc à I Blame You, Rick Froberg et ses Obits s’occupent du reste.
Il semblerait que Crystal Stilts, formation rock de Brooklyn, ait inventé le mouvement revivaliste perpétuel. Paradoxe sémantique, délire de rock-critic ? Rien de tout cela. Le mouvement revivaliste perpétuel serait une forme de récréation musicale gigogne, une spirale temporelle capable d’aspirer toute inspiration, de déplier le temps dans un tourbillon infini, comme dans un toboggan où toute idée de chute serait alors proscrite. Hum, procédons dans l’ordre. Il apparaît à l’écoute de leur premier opus que Crystal Stilts voue un culte quasi macabre pour The Jesus & Mary Chain, et à en juger par leur guitare lapidaire, leur tambourin famélique et leur orgue narcotique, je suis en dessous de la vérité. Avec ses fulgurances noisy pop un brin dépressives The Jesus & Mary Chain se veut le prolongement naturel du Velvet Underground dont les vapeurs toxiques sont un écho sombre aux épopées dramatiques des Doors, New York miroir de L.A et inversement. Lou Reed et John Cale sont les deux lobes du cerveau Velvetien, l’un est fasciné par Bob Dylan et Tony Conrad chez qui il trouva un livre traitant des pratiques sexuelles déviantes intitulé The Velvet Underground, l’autre par La Monte Young. Tony Conrad a formé The Dream Syndicate avec La Monte Young, mais l’on peut rapprocher ce dernier de la nébuleuse Fluxus créée à l’aube des années 60 par George Maciunas. Ce collectif de jeunes artistes contemporains, sous forte influence dada, révolutionnent les arts visuels en explosant les limites de la pratique artistique et en construisant ainsi un lien définitif entre l'art et la vie. L’art est la vie, le credo du mouvement dada dont la truculence éclate au visage d’un nouveau siècle pas encore plongé dans les atrocités de la grande guerre. Peintres, poètes, photographes s’y retrouvent pour chambouler joyeusement les conventions. La jeunesse et l’insolence seront leurs maîtres mots, en hommage à Rimbaud et à Isidore Ducasse, comte de Lautréamont qui emprunta son nom à un personnage d’Eugène Sue. Avec pour l’un Illuminations et pour l’autre Les chants de Maldoror, Rimbaud et Lautréamont sont les inventeurs de la poésie moderne, affranchie des stigmates du vers rythmé et rimé. Quant à Eugène Sue, il évolue dans la grande tradition des écrivains du XIX siècle comme Théophile Gautier ou Victor Hugo. À travers Les mystères de Paris, roman-feuilleton dense et puissant, Eugène Sue témoigne d’un engagement politique exaltant les vertus du socialisme. Cette idéologie née en 1780 de la bouche même d’Emmanuel Joseph Sieyès (Traité du socialisme) désigne un système d'organisation sociale basé sur la propriété collective des moyens de production. Entièrement et philosophiquement fondé sur le concept d’utopie, représentation d’une réalité idéale sans défaut, le socialisme s’inspire de la pensée de Thomas More. Cet écrivain anglais né le 7 février 1478 rêva d’une société parfaite, sans injustice. En ce sens, il se place dans la lignée de Socrate qui lui avait imaginé Callipolis, la cité harmonieuse. On peut donc dire que Crystal Stilts est influencé par Socrate.
Grizzly Bear, Veckatimest : http://www.deezer.com/fr/album/542394
Obits, I Blame You : http://www.deezer.com/fr/album/1174592
Crystal Stilts, Alight Of Night : http://www.deezer.com/fr/album/353573
Commentaires
Ju
06.05.2009
Félicitations pour ce site que je découvre. J'ai chroniqué Grizzly Bear ce matin et en suit encore tout retourné :
http://www.desoreillesdansbabylone.com/2009/05/grizzly-bear-veckatimest-2009.html
A bientôt,
Ju
Ps : Crystal Stilts idem !
Arbane
06.05.2009
Merci pour le compliment ! Grizzly Bear est en effet une formation à suivre et sa dernière production une livraison de haute volée. Bravo pour votre site othorino-musico-babylonien !
Arbane
arnok
09.05.2009
salut, très bon album de grizzly bear en effet, je suis fan également, toutefois je préfère yellow house et son titre knife.
bref le nom de l'album veckatimest porte son nom en référence au nom d'une île du massachussets, bon ok j'ai trouvé ça sur wikipédia!!!