U.S. 69 n’est pas le nom de l’une de ces compilations qui fleurissent dans les rayonnages des stations essences, sur les routes de la solitude motorisée, proposant au quidam esseulé la quintessence du best of de ce qui ce fait de mieux à l’échelle universelle du rock américain. Pas plus qu’il ne s’agit d’une marque de sexe toys vendue à bas prix dans les drugstores du rêve américain. Pour autant… Nous parlons d’un groupe de rock, auteur d’un unique album en 1969 sur Buddah Records, le label du Magic Band du guttural Captain Beefheart. Les copains de la nostalgie présentent une vision quasi intemporelle du rock car si leur leader, Bill Durso, cède à la fascination lysergique dès l’ouverture avec I’m On My Way, tout sitar dehors, il revient vite à une formule canonique qui nous intéresse ici. Une alchimie magique entre rock, rhythm’n’blues, jazz et funk qui préfigurait un an avant la révolution Black-Blanc-Chœurs d’Eric Burdon & War. Il s’échappe de cet album des effluves groovy, caressées par moments par des flûtes badines, taquinées à d’autres par des cuivres moqueurs que n’aurait pas reniés un mec du charisme de James Brown. Car c’est bien là la morale de l’histoire que ces 5 musiciens inspirés nous comptent, je vais retenir un mot barbare : la négritude. Cette capacité folle à incarner l’héritage noir d’un pays en perpétuelle contradiction : les ratonades honteuses et répugnantes perpétrées dans le sud, Otis Redding en tournée dans tout le pays, entouré d’un backing band entièrement blanc, le mépris affiché par les noirs de Harlem à l’égard du phénomène Hendrix, Un Johnny Cash allant jouer devant les prisonniers de Folsom et de Saint Quentin (noirs et blancs). Jeu du chat et de la souris qui, entre les intervalles du chaos, engendra le rock, vaste mouvement fraternel où chaque mot, chaque refrain, chaque riff pouvait changer l’ordre intangible des choses. U.S. 69, une sorte de « Yes, we can » avant l’heure dont Yesterday’s Folks, African Sunshine, I Hear You Takin’ ou Never A Day Goes By sont les évidentes figures de proue, hymnes paisibles, pacifistes avant d’être hippies, moulés dans une virtuosité cool qui ne sombre jamais dans la démonstration poussive ou l’improvisation bruitiste : rien à voir avec les galettes de formations pourtant talentueuses comme le Chicago Transit Authority ou Blood, Sweat & Tears dans ses premières livraisons, adaptant les canons de la musique classique à la sauce prog-hippie-rock. Non, U.S. 69 c’est un son canaille, taillé pour la Black Exploitation et la culture Grindhouse, il n’y a qu’à jeter un œil gourmand au dos du vinyle pour contempler, dans la jouissance d’un moment rendu élastique par les saxos, ces visages qui moustachus qui cerclés de lunettes noirs, qui bien peignés qui coiffés de bonnet pour attester de l’authenticité rock’n’roll de l’affaire. Et en plus, ils posent dans une carcasse de voiture comme pour prouver qu’on peut du neuf avec du vieux. La leçon est simple, étincelante de vérité, sans fariboles aucunes, sexy, spicy, vénéneuses sans être velvetienne, de velours, nos compères ayant des manières de chats de gouttières, à l’image du big bang à griffes de Scat Cat dans les Aristochats. Oh vous direz, le rock critique se perd en conjectures, disserte à grands renforts de références proto pop, mais ne nous y trompons pas. Tout concourt à faire de Yesterdays Folks un très grand disque : la force de frappe des compositions malgré leur élégance chafouine, la grande classe des arrangements qui évitent de sombrer dans l’orchestration larmoyante ou les cuivres de bals pour Middle Class américaine en retraite dans ses paquebots rutilants, la voix fantastique et fauve de Bill Durso, enfin la concision inhabituelle d’un album capable encore une fois de réconcilier les contraires, papas soixante-huitards devenus après moult compromissions pragmatiques chefs d’entreprise rondouillards et leurs rejetons babies rockeurs ruminant sous leurs mèches indisciplinées d’inquiétantes révolutions, à savoir l’accord parfait entre slim brut et bottines en daim crème. Une prouesse.
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