Best of 2008 selon Shebam Blog Pop Wizz
par Adehoum Arbane le 14.01.2009 dans la catégorie A new disque in town
« Le 13 janvier 2009, Adehoum Arbane fit parvenir cette missive enflammée à Pascal Nègre, président d’Universal, en protestation devant la médiocrité prônée comme stratégie globale à l’échelle du groupe. »
Cher Monsieur Nègre,
Je me devais de vous le dire, je suis intimement convaincu de votre contribution à la diffusion massive de la médiocrité dans notre pays et il semble que votre capacité d’investissement en la matière soit illimitée ; plus il y a de crétins à gaver d’immondices musicales, plus votre légitimité paraît indéniable. Cependant, je ne me répandrai pas ici en viles calomnies, même si je l’avoue, l’envie m’en prend chaque matin que le dieu du rock fait. Car en plus de promouvoir cet excrément appelé variété, vous vous acoquinez avec l’un des médias les plus haïssables, cet instrument de crétinisation des foules comme l’affirmait Salvador Dali, je parle bien sûr de la télévision. Pire encore, vous décidez de pactiser avec TF1, et comble de la lâcheté, vous parrainez son programme le plus réprouvable : la Star Ac’. Pour ces crimes, vous mériteriez de subir la douce caresse d’un coup de tatane par boots Rautureau interposées. Ne vous inquiétez point, ces menaces restent symboliques, allégoriques, ne voyez pas en moi un terroriste hystéro-barbue mais une sorte de paladin moderne, fervent défenseur non pas de la veuve et de l’orphelin mais du Grand Œuvre Rock. Afin de procéder à une éducation aussi tardive que salutaire, je pense à une éventuelle absolution, la vôtre, non je plaisante, je profite de cette missive pour faire œuvre de pédagogie : vous trouverez entre ces lignes mon classement des meilleurs disques rock de l’année 2008. Vous le constaterez rapidement, aucune de vos exécrables productions n’y figure, et je m’en félicite. Hormis deux albums, l’un édité chez Barclay, l’autre distribué par votre firme mais il semblerait que vous soyez étranger à ces signatures ou que l’un de vos directeurs artistiques ait fait preuve d’une liberté aussi fragile qu’inhabituelle. Enfin, j’ai pris soin de choisir, après maintes écoutes, des artistes français, certains s’expriment dans la langue de Villon, d’autres ont retenu celles des Kinks ou de Dylan. Enfin, anti-conformisme oblige, j’ai décidé d’élargir le contingent de disques retenus contrairement à l’année précédente, portant ma sélection à 13, espérant avec une foi infaillible que ce chiffre maudit continuera de vous porter malheur. J’ai ouï dire en effet que l’audience de la Star Ac’ chutait invariablement jusqu’à atteindre les bas fonds sordides de l’enfer pourri où vous avez élu domicile.
Le premier de ce prestigieux palmarès est, à mon sens, Fleet Foxes pour leur sublime opus éponyme, modèle de perfection sonore, qui déploie sans faste et avec une forme de modestie qui est la marque des génies, un répertoire entremêlant pop et folk. Harmonies vocales célestes se fondent dans les arpèges les plus délicats et il est alors évident de voir en eux les dignes héritiers des Beach Boys et de Pearls Before Swine. 11 vitraux finement enluminés constituent le cadre d'un vibrant et intemporel chef-d’œuvre qui aujourd'hui semble faire l'unanimité. Vient ensuite, en deuxième position, un artiste que je suis maintenant depuis près de 4 ans et qui a choisi de cacher son visage de troubadour badin derrière un sobriquet anglophone : Syd Matters. Ghost Days est le troisième chapitre de son épopée robotico-acoustique, et le bonhomme a tout de l’ermite obsessionnel, bricolant dans la pénombre d’une chambre, comme dans la cellule d’un moine, des mélodies simples, limpides et trempées d’une électronique pour le moins discrète, comme dans Everything Else. Je ne céderai pas à la tyrannie de la citation référentielle (Son Big Moon répondant naturellement à un certain Pink Moon), préférant noter la singularité d’une démarche artistique étonnement mature. Ce naturaliste du son produit ces miracles qui vous enveloppent, sitôt libérés dans l’espace, pour ne plus jamais vous abandonner. Je crois cher Pascal que cet état de grâce n’est pas anodin, cette même manifestation géniale toucha en son temps les deux têtes brunes du couple Lennon/McCartney. Mais tout cela vous est définitivement étranger. Troisième place, ah les délices du buzz, la forfanterie d’une hype prompte à produire chaque semaine le groupe du siècle. Et pourtant. Des américains ont réussi un exploit, celui de faire parler toute la planète rock sur la preuve d’un seule livraison et quelle livraison : Oracular Spectacular de MGMT. Imaginez ce qu’une éprouvette cédée à deux jeunes laborantins de Brooklyn pourrait répandre entre les deux oreilles du monde, une sorte de vaste mixe bandant entre l’imagerie Kubrickienne et la pop progressive vaguement glam d’un Todd Rundgren. Tout bêtement l’épopée psyché futuriste la plus futée que ce début de millénaire ait connu. Un tout, un absolu, l’équation parfaite mec. Si je puis me permettre une telle familiarité avec un grand patron de votre trempe et le dieu de la pop sait que vous en méritez une, de trempe. Passons. Le principe du florilège n’est-il pas de répertorier les chefs-d’œuvre en attente, sommeillant dans les limbes de l’oubli et qui n’attendent qu’une pichenette journalistique pour exploser à la face du globe en un big bang historique. Voilà pourquoi j’ai songé à tirer des entrailles de l’indifférence humaine l’unique album de Cold Sun, Dark Shadows. Couché sur pistes en 1970, il a fait l’objet (précieux) d’une réédition estivale plus que bienvenue, car là encore, masterpiece il y a. Ces texans égarés ont pondu une sorte d’ovni sonique qui dès 69, date de leur entrée dans les studios Sonobeat, dressa à l’évidence un pont entre le post-rock hypnotique de Can et les abstractions déviantes du Velvet. Leurs envolées arides comme un désert irradié par un champignon nucléaire galopent aujourd’hui le long du cortex cérébral avec une rare intensité et vous satellisent aussitôt. Toute émotion que vous ne pouvez ressentir tant votre cervelet semble baigner dans un placenta musical proche de la bouillie grumeleuse que les bébés potelés vomissent si consciencieusement. Jamais vous ne pourrez comprendre ce que Cold Sun représente à mes yeux. Une révélation spirituelle. Cinquième jalon de cet ébouriffant classement, le rock classique à tendance dandy d’Alister. Ce trentenaire qui balance des blagues dadaïstes classieuses à chaque concert a écrit tout bonnement le meilleur album rock français et en français du millésime. Son style emprunt d’humour absurde, dixit les baisers tibétains, et foutrement éthylique, façon cabaret dégingandé, relève de l’évidence et le mec a eu de plus le goût de faire appel à un british pour produire ses futurs standards. Meilleur morceau, Quelque chose dans mon verre où le piano lacère l’espace comme si la grande faucheuse était aux manettes. Nous arrivons à la fin de la première face, l’heure de l’entracte va bientôt sonner, mais je n’en ai pas fini avec vous Pascal. Qu’allons-nous faire de vous, monsieur, la question se pose. Regardez-vous un moment dans le miroir, vous seriez presque un Dorian Gray, la beauté factice en moins, la laideur permanente en plus. Miroir… Mirror Mirror, le nom d’une formation de Brooklyn amie de MGMT. Ces hippies épilés viennent tout juste de sortir leur premier effort, à en juger par son titre à rallonge, The Society for the Advancement of Inflammatory Consciousness. Très pop et à la fois définitivement expérimentale, leur musique appelle les messes païennes dont l’âme à besoin, les soirs de pleine lune, pour danser au son des chorales exaltées. Paganisme fantasque et raide comme dans New Horizons, tube stellaire, incantatoire et cristallin. Je n’aime pas les références, elles sont parfois aussi vaines que réductrices, cependant il y a dans les chansons à tiroirs de Mirror Mirror les facéties acides et clownesques de See Emily Plays de Pink Floyd : Eugene et Don Coyote’s Confession nous renvoient aux grandes heures de Piper At The Gate Of Dawn et Saucerful Of Secrets, sans doute ces œuvres vous plongeraient dans un effroi blême, mon cher Pascal, elles sont pourtant vitales et ont irradié le rock jusqu’à l’en voir intrinsèquement transformé.
Face B, les 7 dernières merveilles du monde, le mien, êtes-vous encore là, cher Monsieur Nègre, à l’écoute, conscient de la portée de ces choses pour vous si insignifiantes ? Il faut tenir, je sais la torture est maintenant intolérable mais rassurez-vous, vous serez bientôt délivré de ce tourment et retrouverez avec bonheur les molles mélopées des Lara Fabian, Florent Pagny et autres Enrique Iglesias. Numéro 7, le san franciscain Kelley Stoltz. Cinquième effort de ce compositeur tranquille, Circular Sounds propose ces hymnes débonnaires d’une Amérique lorgnant secrètement vers l’Angleterre des Kinks. Là réside la délicate magie de ces 13 chansons construites comme des coffres à jouets que l’on explore sans fin, tout imprégné de langueur solaire, nous sommes en Californie dois-je le rappeler. Un album qui ne vint jamais troubler l’océan des parutions habituelles. Écouter, que dis-je, savourer Kelley Stoltz, c’est se rappeler l’adage suivant : l’important n’est pas de révolutionner le rock, mais d’écrire de bonnes chansons. Issu de l’impeccable écurie Sub Pop Records, ce trésor mélodique se fera indispensable. Précieux. Les prochains sur la liste sont français et répondent au souriant patronyme d’Eldia. L’invitation semble plaisante de prime abord. À l’évidence, nos compères ont bu dans leur jeunesse un thé infusé aux Beatles, Jimi Hendrix Experience, Kinks et autres mythes en provenance des 60s. Mais ils ont eu l’heureux réflexe de ne jamais sombrer dans un revivalisme sectaire et béat, nos compères invoquant ainsi la Sainte Trinité Mélodie-Chœurs-Arrangements fastueux, ce qui étonne lorsque l’on apprend que leur album est entièrement autoproduit. Meilleur titre et possible tube de tous les étés jusqu’à ma mort, This Summer Is Lost, dont les claviers carillonnant continuent de grimper le long de la colonne en un frisson lascif à chaque nouvelle écoute. Monsieur Nègre, méditez maintenant l’adage consumériste et publicitaire « quelques grammes de brutalité rock dans un monde de finesse pop ». Jay Reatard est à l’origine de cette inversion de tendance marketing. Ce jeune trublion américain sous son bedon nourri aux barbecues arrive à déployer une énergie qui redonnerait vitalité à un paraplégique dépressif. Sobrement intitulé Matador Singles 08, cet album a l’audace de compiler une année de EP composés dans l’urgence et la décontraction et cela se ressent à la première écoute. Moulés dans les sacro saintes 2 minutes et 30 secondes, ces 13 brûlots power pop et proto punk ont de quoi hanter, je parle de ces petits riffs, ces idées qui truffent un morceau, orgue, mandoline et autres claquements de mains. Cette bombe sonique pourrait même, je vous l’accorde, grimper illico en tête du classement mais sa rigoureuse simplicité n’aspire à rien de plus que de faire danser les filles et tremper les petites culottes. Creaky Boards, une autre formation de Brooklyn. Décidément, cette extension de Manhattan semble abriter ce que l’indie rock a produit de plus passionnant depuis MGMT. Et avec les Shins, la jeune formation du non moins jeune Andrew Hoepfner cultiver cette passion nerdesque pour ces pyramides harmoniques savamment superposées par des magiciens un peu barges comme Brian Wilson, Ray Davis ou Phil Spector, mais sans flingue sur la tempe. Ce qui me fait songer cher Pascal que la Sunshine Pop semble avoir changé d’horizons pour se déplacer furtivement vers la Côte Est. Imaginez des surfeurs blondinets sculptant des vagues de bitumes entre Park Slope et Cobble Hill ? Creaky Boards est assurément la sensation de cette fin d’année 2008.
Et si nous procédions à un petit rappel historico-géographique avant d’aborder la suite de notre classement ? La Pop est par essence anglo-saxonne mais il existe d’autres terres d’élection, d’autres ports d’attache : l’Allemagne ne s’est pas seulement bornée à fournir au monde son lot de dictateurs, elle s’est montrée sous un autre jour, plus novateur en se plaçant à l’avant-garde du rock : Get Well Soon cache sous ce pseudonyme sibyllin un jeune homme érudit, Konstantin Gropper. Véritable homme-orchestre dont les gants noirs agitent des manettes incroyables, ce jeune Berlinois a sorti une œuvre intense, au savoir livresque dont chaque chanson, chaque idée pourrait être un projet d’album à part entière. Entre rock planant, romantisme folk et comptines hagardes, les 14 titres déploient tout le faste pop d’un esprit en perpétuelle réflexion. En avant dernière position, un coup de cœur comme il en arrive parfois dans une vie de journaliste rock, un caprice même et qui a pour nom The Junipers, j’imagine en hommage au délicieux Jenifer Juniper de Donovan. Derrière The Junipers, il y a le projet Monkberry Momma, un autre groupe dont le dénominateur commun est Joe Wiltshire. Ce jeune geek de Leceister a semble-t-il digéré tout ce que la pop 60s a fait de meilleur, des Beatles aux Beach Boys en passant par Emitt Rhodes, Harry Nilsson et The Aerovons. A la manière de Dorian Pimpernel, les Junipers assemblent des mélodies à l’anglaise dans un studio qui a des allures de laboratoire extravagant où chaque éprouvette contiendrait la formule de la Mélodie Parfaite. Cette démarche vaguement surannée apparaîtrait pour vos directeurs artistiques totalement réactionnaire, poussiéreuse, ringarde et pourtant. Ces refrains savants constituent la plus efficace des drogues, de celle que l’on devrait prescrire à notre belle jeunesse lycéenne braillarde. Pour finir ce classement et cette missive qui vous est destinée, cher Pascal, abordons le cas de Jeremy Jay : ce californien blondinet, sous des airs de Scott Walker naïf, tricote sur son premier album des chansons bancales à la production glaciale. Malgré ces « fausses notes volontaires ? », l’album a de quoi séduire. Fondamentalement original, romantique en diable, Jeremy Jay synthétise les héritages conjugués de Lou Reed, Bowie et Ian Curtis, surtout sur son premier EP, Airwalker aux inflexions fondamentalement cold wave. Une contribution de plus à ce top 13, tout en fragilité inéffable et en suavité glaciale.
Voilà, cher Pascal Nègre, vous savez tout maintenant et peut-être aurez-vous la lucidité de changer de cap en abandonnant cette lubie stupide pour les grosses productions si chères à la Variété Française. Cela vous vaudrait assurément d’être élevé au rang d’officier de la légion d’honneur, quoique je frémisse encore à l’annonce de votre récente nomination. Mais il est des choix qui, s’ils ne sont pas sous l’empire de la passion, échappent en revanche à la raison, nourrissant une incompréhension blême qui m’étreint aujourd’hui. Enfin… Sur ces paroles, je vous laisse à votre conscience, déjà rongée par le remords de votre bête cupidité.
Cordialement,
Adehoum Arbane
Meilleurs albums Pop/Rock 2008 :
Fleet Foxes, Fleet Foxes
Syd Matters, Ghost Days
MGMT, Oracular Spectacular
Cold Sun, Dark Shadows
Alister, Aucun Mal Ne Vous Sera Fait
Mirror Mirror, The Society For The Advancement Of Inflammatory Consciousness
Kelley Stoltz, Circular Sounds
Eldia, And All the People On the Ship Say "Land Ho"
Jay Reatard, Matador Singles 08
Creaky Boards, Brooklyn Is Love
Get Well Soon, Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon
The Junipers, Cut Your Key
Jeremy Jay, A Place Where We Could Go
Commentaires
Le Smarty
15.01.2009
Je note avec une tristesse mesurée l'absence de l'opus (dei ?) merveilleusement Moricon des Last Shadows Puppets, qui ont prouvé s'il le fallait que le Roacutan soignait l'acné tout autant que les oreilles.
Cependant, je salue cet épitre au pitre négrier de la musique, qui depuis déjà trop d'années tente de nous faire croire que le talent s'acquiert et que la gloire s'achète 35 cts hors coût du sms.