Radiohead, live at the fucking Palais Omnisport de Paris Bercy, mardi 10 juin 2008.
King Crimson, le Radiohead des années 70 ? Ainsi commençait une critique de Red, chef d’œuvre noir et pierre angulaire du rock pour un mec comme Kurt Cobain, que j’avais par hasard (et peu rasé) trouvé dans les entrailles glapissantes du Net. King Crimson, le Radiohead des années 70 ? Il aurait été plus juste de dire « Radiohead, le King Crimson des années 90/2000 ? ». Formulation inconsciemment erronée, lapsus révélateur ou erreur chronologique, certains pensent à tort que l’histoire de France a commencé avec la Révolution Française… J’en restais médusé pendant de longues minutes en cette fin d’après-midi solaire, quelques heures avant de pénétrer dans l’enceinte obscure et moite de Bercy qui abriterait l’espace de deux heures le groupe de pop/rock d’Oxford. Le vent légèrement chaud et sec balayait mes puissantes méditations sur cette question, fallait-il considérer King Crimson comme un collectif mineur, au point de trahir l’ordre naturel du Temps qui veut qu’un groupe des 60s soit cité avant les suiveurs, les copieurs et les ersatz. Non, bien sûr. Surtout s’agissant de la morne langueur impavide que j’arrivais péniblement à extraire des chansons de la Tête de radio. Mais, qu’importe, il y avait de quoi se réjouir, on me promettait l’extase, le trip garanti sur facture (qui fut salée), le moment ultime de ma vie fabriqué, empaqueté et livré tout chaud par le meilleur groupe du monde selon la presse rock officielle, traitant la bande du cotonneux Thom Yorke, au regard torve et bovin, comme le ferait Robert Parker s’il s’agissait d’un vin prestigieux. Quelques heures plus tard, la foule se massait amoureusement devant les contreforts du palais de Bercy. Le ciel était d’un bleu tendu, il faisait encore chaud. Je retrouvais ma femme et mes amis, une perceptible émulation se lisait sur les visages, je ressentis une attente qui ne pouvait être déçue. La foule s’engouffra alors par les entrées latérales qui plongeaient dans ce fourneau, sorte de blockhaus infernal, les fourmis bien éduquées rejoignaient le centre de leur monde où la reine borgne les admonesterait à nouveau. À l’intérieur, ambiance étrange, le noir total, nous progressions à l’aveugle, puis quand les yeux s’habituèrent enfin à la pénombre, je vis se dessiner les contours d’un ciel métallique fait d’arceau en fer : je n’étais pas à Bercy, mais au cœur de l’étoile de la mort, ce n’était pas une lune, mais une base sidérale. Je finis par atterrir, le concert était déjà commencé, du moins la première partie, Bat For Lashes, intéressant mais le concept du clavecin joué dans une telle forteresse étouffante me parut décalé, saugrenu, bizarroïde, peu à-propos. La lumière revint façon interrogatoire à la Kommandantur. La tension commençait à monter, le public nombreux, mouvant, se lova contre la scène jusqu’à exploser littéralement sur les côtés en excroissance de chair rose et gélatineuse à l’image du Blob, créature d’outre espace, bouffeuse d’humains, hypertrophiée, méchamment dégueulasse. Mon regard se déporta, tiens, amusant, dans la même rangée, Arthur H qui me renvoya poliment mon sourire, Nicolas Godin de Air et François Baroin de, de, droite. Puis à nouveau le noir complet, poisseux, opaque, le groupe fit son entrée et les hurlements se firent alors plus stridents. La set liste se déroula, minutée, jouée à la note près avec des fins de morceau genre « coupure de courant sauvage », très pro, trop pro, pas d’anicroches, d’accidents, de moments en apesanteur, incertains, un son mille fois répété qui, acoustique merdique, oblige avait des airs de bouillie sonore. J’étais debout, planté comme un pic, un roc, statique, imperturbable, comme si je posais devant l’objectif, « tiens, oui c’est bien ça, fais-la plus enjouée, oui, maintenant, joue-la désinvolte, je-m’en-foutiste, boudeur, frondeur ». Bref, ce n’était pas l’extase totale, viscérale, le pied absolu, d’autant que les immondes spaghettis électriques faisant office de lights shows masquaient les écrans d’où l’on pouvait suivre les musiciens, la scénographie, rutilante, était atroce, ratée, renvoyant aux pires moments de l’existence comme :
1/ La revue putassière du Crazy Horse
2/ Une finale de patinage artistique aux JO de Grenoble
3/ Une soirée Casino à Las Vegas
4/ Une soirée putes vitrinées à Amsterdam
5/ Un concert de Jean Michel Jarre
6/ Un bébé hilare jouant à « Ma toupie sons & lumières ».
Bref, le mauvais moment. Les titres pleuvaient au milieu des traits de lumière et j’avais bien du mal à planer, englué que j’étais dans cette guimauve pseudo mélancolique, je vous laisse imaginer ce que pourrait donner le croisement improbable entre la voix de Bono et le répertoire d’Allan Parsons Project, juste un truc un peu hybride, vaguement horrible et surtout maniéré. Il me fallait comprendre l’engouement que pouvait susciter Radiohead dans un microcosme musical en perpétuel mouvement, univers en expansion qui se télescopaient à grands coups de revival, sixties et pop pour les uns, eighties et dance floor pour les autres ; il y avait certes des tentatives à oublier mais parfois, à l’orée d’un rayon ou d’un article de presse, des choses mirifiques à découvrir comme les savants Soft Hearted Scientists ou les mystiques Fleet Foxes dont les deux opus tournaient en boucle dans mon cerveau. Il me fallait comprendre…
La presse et Radiohead
Un rapport pour le moins étonnant dont la vision extatique auto entretenue par une presse rock en état de sidération euphorique face au « Messie » Radiohead contribue au trouble ressenti par l’amateur lambda. Eviter le déclaratif, même si l’objectivité est parfois inconciliable avec l’émotion que peut faire naître une œuvre, qui plus est, musicale. Et pourtant, il existe dans l’histoire du rock des points d’ancrage qui permettent de recadrer cet enthousiasme quelque peu exagéré. On me dit que « le diptyque Kid A/Amnesiac est ce qui a été fait de mieux depuis le double blanc des Beatles » et là je dis stop the bull shit. Entre The Beatles, sorti en novembre 1968 et Radiohead, il y a plus de trente ans de révolution sonique, de diptyques, triptyques, doubles albums et autres œuvres majeures, et prétendre qu’il ne s’est rien passé depuis serait une hérésie, du révisionnisme rock, car je pose la question, peut-on tirer un trait sur :
1/ Tommy des Who (Opéra rock en deux galettes)
2/ Third de Soft Machine (double album ultime)
3/ La trilogie Larks' Tongues in Aspic, Starless et Bible Black, Red de King Crimson
4/ Le diptyque Rock Bottom/Ruth Is Stranger Than Richard de Wyatt
5/ Les suites en Zappa majeur que sont Waka Jawaka/The Grand Wazoo
6/ Le trio gagnant Meddle/Dark Side Of The Moon/Wish You Were Here
7/ Le double album type au titre sortilège Ummagumma, les points 6 et 7 étant signés Pink Floyd
8/ Exile On Main Street des Stones peut être cité pour les raisons que l’on connaît (merde, un album des Stones période 64-73 c’est du velours).
9/ Et tous les doubles albums qui furent pour leur époque de véritables ovnis :
Commentaires
mb
18.07.2009
Je suis rassuré. Je ne suis pas la seule à ne pas comprendre, lol ! Un jour peut-être arriverai-je à le supporter assez pour écouter un album...