Xu Xu Fang, Viper au sein #11

par Adehoum Arbane  le 20.05.2008  dans la catégorie Récits & affabulations
Xu Xu Fang, Viper au sein #11

- Voilà, conclut-il avec une forme de sagesse, dans une longue respiration qui trahissait l’espérance du repos éternel. Il fallait nous sortir de là, mon cerveau se mit à échafauder en quelques nano secondes un millier de plans incroyables, comment échapper à cet estomac en décomposition ; je bouillais littéralement. Une seule solution, refaire décoller l’avion. Je me précipitai dans la cabine de pilotage, tripotai fébrilement tous les boutons, merde, j’avais bien réussi à faire démarrer une limo alors un avion ! je ne sais par quel miracle mais l’un des deux moteurs se mit à toussoter puis tourner, suivi de près par le deuxième, la carcasse trembla puis, s’arrachant à la lourde impassibilité du destin, se mit en branle en claudiquant. Je décidai de mettre les gaz et demandai à Buddy d’exécuter avec sa guitare la note la plus violente et la plus sonore possible, priant pour que le stratagème fasse son effet. Un son strident déchira la gorge et la gueule du monstre s’effondra comme un pont-levis nous laissant rejoindre les nues. WHOUUUUUAAAOOOUUUHHHEEEEE fut le cri que Ritchie poussa, malgré son age très avancé. Après avoir voleté un moment, l’avion se posa délicatement sur une petite plage. Maintes congratulations marquèrent nos retrouvailles avec la terre des hommes et quand je les priais de me suivre pour témoigner de notre fabuleuse aventure, les trois ancêtres refusèrent. Je garderai toujours en mémoire le souvenir précis de leurs silhouettes fatiguées disparaissant dans la nature. Jamais je ne les revis ou n’entendis parler d’eux.

Épilogue : reprise du thème et grand final.
Je me réveillai dans un lit d’hôpital. Le soleil pleuvait abondamment dans la pièce, des fleurs par centaines s’empilaient, escaliers végétant dans un ineffable agencement de couleurs vives. Pas un bruit, une blanche quiétude régnait en ces lieux de repos pour le corps brisé par les turpitudes de l’existence. Bobby était penché sur moi, le sourire défait et bienveillant, main posée sur mon épaule comme un baume apaisant. Ils avaient eu très peur lorsque je m’étais jeté sur le poisson imaginaire, fou, l’écume de la folie s’épanchant le long de ma bouche en vomissures de mousse. J’étais alors tombé par-dessus bord, disparaissant dans l’immensité bleue.  Puis, porté par la houle, j’avais dérivé pendant des heures jusqu’à ce qu’une vedette des gardes-côtes ne me repêche comme par miracle, inconscient, sans doute à quelques brasses des rives de la Mort. Je flottais sur mon lit, écoutant Bobby dont la voix rassurante venait caresser, pareille au ressac, ma tête tout entière. J’étais maintenant tiré d’affaire, mais une question me hantait : que s’était-il réellement passé alors que la mer m’avait laissé pour mort, bien avant d’être arraché aux flots ? Le monstre marin, l’avion, les musiciens prisonniers, était-ce un rêve, une vague chimère de reporter drogué, une douce mystification de l’esprit usé par le délire et l’ivresse ? Jamais je ne réussis à trouver en moi une explication rationnelle. « Ces jours » avaient été riches, les événements s’étaient bousculés et ma mémoire altérée en conservait à jamais le mirifique souvenir. Et puis, j’avais trouvé en Bobby un nouveau héros, pas seulement pour sa présence généreuse au moment décisif où vous vous trouvez confronté au repos forcé, dans le cadre déliquescent d’un centre hospitalier américain, obligeant chaque patient à hypothéquer sa vie entière pour financer un simple examen médical, non ; Bobby au sein de Xu Xu Fang représentait mon avenir, le cheval, l’outsider sur lequel il fallait absolument miser. Je lui demandais des nouvelles de leur prestation au Viper Room, la presse était emballée, y aurait-il des deals avec des labels, je l’espérais ardemment. Ma foi inébranlable et mon instinct affûté de journaliste m’inspiraient les meilleurs présages. Je quittai enfin le Los Angeles County Hospital, le soleil était radieux et l’océan lointain. Après avoir fait un saut à mon hôtel, histoire de siroter quelques russes blancs à l’œil, je prenais un taxi direction l’aéroport. Dans le vaste hall aseptisé, les mêmes hippies girls délurées, joggeurs sculpturaux et autres veuves en chasse, les mêmes gigolos serial killers, flics flingueurs et autres retraités aux visages marbrés. L’avion fonçait vers les cieux, traversant le seul nuage qui, tel une ridule, parasitait leur beauté d’un bleu botoxé. Je sombrais dans un profond sommeil plein de promesses oniriques, l’assiette de navigation de mon cerveau était stable, tout me semblait parfait à ce moment quand l’altimètre se mit à plonger subitement. Dans le périmètre circonscrit de mon hublot, je distinguai très nettement la bouche grande ouverte de l’océan. 

Fin
 
 
 
 


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