Lovely Rita, rejetons officiels des Beatles

par Adehoum Arbane  le 15.06.2007  dans la catégorie A new disque in town
Le PPPPP
Le Paris Pourvoyeur de Pop de Premier Plan
Expérience lysergique au Père Lachaise
Et l’art de la fessée revisitée

Elles sont nombreuses les cautions pop, rock, indie et autres qui s’affichent au fronticipe bariolé et clinquant du premier album de Christophe Willem dit « la torture » et qui tentent ainsi dans la fourberie la plus totale de lui « donner » une respectabilité de façade. Étourdissante manœuvre consistant à faire de la star nouvelle ( ?) des charts télévisuels un artiste indépendant, authentiquement porteur des valeurs de travail et de mérite, hurler plus fort pour gagner plus (de reconnaissance), le sérieux vient de tomber dans les bas fonds de la fumisterie typiquement consensuelle ; la fin serait-elle proche, le rock mort, définitivement, quant à la pop vintage, je n’ose y songer, elle semble avoir été durement éprouvée, rudoyée, mise à mal, quasi tombée dans les culs de basse-fosse du mortel Oubli. Et la pop française, parlons-en, oh oui, que de belles références, Superbus ?, Kyo ?, Blankass ?, Sinsemilia ?, Dionysos ?, Mickey 3D ?, figures élégiaques de la flamboyance baroque, euh, je vais arrêter de prendre la drogue de l’ironie, nous sommes à deux doigts de la méprise, du quiproquo malencontreux ; je disais donc Superbus ?, Kyo ?, Blankass ?, Sinsemilia ?, Dionysos ?, Mickey 3D ?, figures pathétiques portées par les fréquences radios dites libres qui dans le faux maquis du professionnalisme financier éhonté imposent leur guéguerrilla globalement sans une seule once d’intérêt et leur quota de popeux faussement rock’n’roll.

Mais loin de ce bourbier aux remugles nauséeux, sous les arcs-en-ciel acidulés fomentés par les drogues précieuses ingérées à discrétion, on trouve des manœuvres orchestrales déployant dans l’ombre leurs fanfares cristallines avec des chœurs dessinés dans le bleu vif du matin comme des bulles à la Monty Python, la plage est à ce moment précis balayée par la vague néo-pop psychédélique dans un roulement de batterie, celui qui ouvre le EP que j’ai entre les mains. À l’intérieur, dans les microsillons caressés, cinq musiciens qui ont tout des cinq garçons de la plage, des mélodies en cascades, des voix en escaliers, cinq officiers et gentlemen sortis des rangs du Sgt Pepper’s et qui défilent alors sous vos yeux en une joyeuse parade, bacchanale acide au pays des merveilles d’Alice. Ils auraient pu s’appeler les Râ Lovely ou les Rita Mais t’es sous quoi, non ce sont les Lovely Rita qui à l’instar des « Notre album s’appelle LP1 et son titre sur joue l’anonymat à fond, ok, nous n’avons pas de fierté, ni d’amour propre mais l’amour est-il propre ? » qui ont pioché dans Lucy In The Sky With Diamonds de Lennon pour trouver le nom de leur groupe, ont fait de même ; je vous rassure c’est leur seul point commun. « Begin here ! » et la lumière musicale fut, étalée en alluvions solaires sur un paysage gracieusement colorié, mais si je délaisse un moment mes attributs de paysagistes du XVIIe siècle pour recouvrer mes véritables fonctions, celles du rock critique, je dirais que Lovely Rita offre plus d’un atout pour plaire aux aficionados de la contre-culture Beachboyos-Beatleso-kinksienne.

À l’instar de Monkberry Momma, qui a serti ses mélodies scintillantes d’arrangements graciles, Lovely Rita émerveille à ce point en terme d’illumination religieuse, que l’on se croirait transporter au cœur de la chapelle Sixtine et le plus drôle dans tout cela, c’est l’état dans lequel je suis en ce moment plongé, concentré à rédiger une lettre publicitaire pour un organisme de crédit dont je tairais le nom, les mots s’enchaînent, exhortation à utiliser cette réserve d’argent pour se procurer toutes les drogues que le cerveau humain est capable d’inventorier, les pourcentages, les taux, les mentions légales explosant alors en une aurore de confettis stellaires, merde, je suis satellisé, complètement pris dans une tourmente verbale, perdu comme dans ces films promotionnels montrant des chats sous LSD, incapable de tenir sur mes pattes ; l’arcade de néon rouge, bleu, vert, jaune où clignote le mot Acidland me renseigne alors sur le lieu où je suis, il n’y a plus de confusion, ni de doute possible. Je disais donc (reprenons nos esprits, chers lecteurs), la néo-pop psychédélique revient en force comme le phénomène Grindhouse, véritable culture underground alignant dans le périmètre assez restreint d’une salle de cinéma de province son mètre carré de nerds et autres geeks acclamant dans un sursaut de conscience tous ces pourvoyeurs de folies baroques musico-visuelles exhumés par les rois des nerds eux mêmes, Kwintine Tarantino et Rrrroberto Rrrrodriguez. Dans la tête de ces lascars, la culture pop est souvent associée au mot corn, il y a dans ces vieux métrages improbables une certaine forme de nostalgie pour le plaisir jubilatoire qu’ils pouvaient alors procurer et je crois que l’on peut parler de cette même sensation lorsque les doigts gambadent joyeusement dans les rayons d’un vieux disquaire de quartier, vendeur à queue de cheval et barbe de trois jours, pour trouver le Graal, la réédition ou l’acétate de tel ou tel combo oublié des sixties. Excitation qui fait souvent place à la déception lorsque que l’on apprend alors que l’album en question est en rupture de stock, voire totalement épuisé depuis des années, et là il faut gamberger, reconsidérer les choses et à mesure que les neurones s’affolent on en arrive très logiquement au constat suivant : il faut fouiller dans la production actuelle pour revivre les réminiscences lysergiques de nos vingt ans. Et Lovely Rita a bien compris cela tant la leçon potassée sur gratte sonne comme une évidence mélodique, à la façon d’un refrain qui ne vous quitterait plus. Il aura suffit de cinq morceaux, relativement courts, concis, ciselés, pour que le plaisir et ses multiples effets secondaires reprennent le dessus dans un grand déballage-emballement prompt à me plonger dans ces catalepsies voluptueuses telles qu’on les vivait dans les années soixante, on revient  du disquaire, on ferme la porte, pose le disque sur la platine puis le crépitement du disque (vinyle pour les anciens), puis l’aurore musicale comme dans le Nosferatu de Murnau, tuant le vampire de l’ennui qui vous suçait depuis longtemps la moelle de la raison. Begin Here ! est à ce titre un précis de tablature de la loi pop, on y trouve tout ce que la musique populaire a fait de meilleur depuis les 3 premières mesures de You Really Got Me, le son est rond, chaleureux, les chœurs jaillissent de partout, il en pleut toutes les secondes, les idées sont judicieuses comme cet orgue fou dans People Don’t Hate You, les guitares sont contrastées, empruntant parfois le doigté d’un certain sultan du swing ou s’époumonant tout simplement dans une fraîcheur juvénile rappelant les Who, il est à noter d’ailleurs que Baked Beans sent le petit clin d’œil à la pochette de The Who Sell Out. Production limpide ourdie par cinq musiciens ayant étrenné sur scène, pendant ces longues années d’apprentissage, le répertoire Beatlesien et là, tout d’un coup éclate à mes oreilles LE morceau du disque, Rain & Shine, élégante chanson solaire, ok pas difficile jusque-là à en lire le titre, mais il dispense malgré tout sa lumineuse présence à qui veut bien l’écouter. Deux minutes et cinquante sept secondes de grâce confondante, de beauté simple, à nu, la joie je vous dis, le bonheur qui scintille, les patatas roucoulés, la Pop mes amis avec un grand P et on est bien loin des quelques groupes cités beaucoup plus haut et qui finiront beaucoup plus bas, dans les caniveaux de l’indifférence universelle. Et là, le sentiment est flou, les morceaux ne se perdent pas dans cette démonstrative facilité de ceux qui dilatent le temps, je ne parle même pas de la techno ignoble et désincarnée, et pourtant on aimerait que cela dure encore ; cela dit, je n’en suis qu’à la troisième chanson et rien ne m’empêche de repasser le disque en boucle… Mais, bon… Enfin… Reprenons, She Says perpétue la tradition de la ballade ici jouée au piano, il y a du Queen dans la mélodie, je dirais plus, hum, on pense aussi à la deuxième face d’Abbey Road avec Carry That Weight et là, on se plait à imaginer un deuxième EP plus symphonique, allez réveiller George Martin qui ne s’est plus quoi faire (avec les enregistrements des Beatles) (pour se rendre intéressant). Refermant cette première page avec efficacité, Why Do You Smile ? débute comme du Phoenix pour enchaîner sur des chœurs typiquement sunshine, le vrai tour de force de la chanson est là, nos Lovelies étant capable de mixer leurs influences pour arriver là où on les attend pas (et là où l’on n’entend pas les autres) ; la messe est dite. Voilà pour ce qui est de la chronique en bonne et due forme…

J’ai rencontré une fois les Lovelies au cours de ces soirées sans fin qui vous laissent dans un état de sidération halluciné, bacchanales psychédéliques où l’esprit un brin tatillon et ouvert à toutes les expériences stupides s’emploie à essayer, méthodiquement, les unes après les autres, toutes les drogues et autres substances interdites qui se présentent à lui, c’est un fait, je suis faible, fou même d’être à ce point avide de nouveautés, mais l’invitation qui s’offrit à moi ce soir-là, corps et âme lysergiques, ne pouvait être refusée. Imaginez une nouvelle drogue sur le marché substantiel de la came, quelque chose comme le trip absolu, la défonce sans les effets pervers de la drogue, je ne parle pas de la dépendance mais de la décrépitude dans laquelle celle-ci vous plonge lorsque vous en abusez, mais là, pas de symptômes avilissants, point de marques, de traces, de balafres intérieures qui se dessinent aussi à l’extérieur. Rien, nada. La curiosité vous ronge et vous savez, le secret que je détiens est une drogue à lui tout seul tant vous brûlez d’en savoir plus, allez, je vous le murmure à l’oreille, approchez, il s’agit de l’Absenthe, mélange audacieux entre des molécules composant le LSD et l’absinthe, je ne vous déballerai pas la formule n’ayant pas les compétences de l’apothicaire mais vous n’avez pas besoin de tout connaître dans les moindres détails, ah si j’oubliais, l’Absenthe se consomme simplement en humectant votre cou de votre doigt, c’est classe, absolument discret et ne nécessite en aucune manière de se trimbaler tout l’attirail du parfait petit junkie. Pour en revenir à ma rencontre avec les Lovelies, nous nous étions retrouvés dans un café non loin du cimetière du Père Lachaise, la nuit s’était déjà confortablement installée, il faisait incroyablement doux et j’avais bien entendu emporté dans ma tête les cinq morceaux du groupes, au cas où. Nous commandons des boissons et je leur parle de l’Absenthe, ils écarquillent leurs yeux, des arcs-en-ciel pop se dessinent alors sur leurs iris, curiosité oblige, et ils me pressent d’en révéler plus sur cette substance aussi volatile qu’efficace. Je leur propose d’en prendre, mais de le faire dans le cimetière, histoire de convoquer les esprits, je me sens ce soir-là un peu shaman ; ils acceptent, nous réglons et quittons le troquet. La nuit était calme (pas pour longtemps) lorsque nous arrivâmes au cimetière, escaladant alors le mur pour nous faire la belle mais à l’envers, nos pieds claquèrent sur le sol en un bruit sourd prompt à endormir un mort. Nous nous glissâmes ensuite dans les allées périphériques tels des ombres tordues, il faut bien dire que ce plan l’était tout autant, pouvant être surpris à chaque instant par un gardien. Mes cinq comparses et moi-même prîmes chacun une bonne dose d’Absenthe comme on teste un parfum, d’un geste nonchalant à peine stylisé et là ce fut le drame. Je ne sais plus très bien qui mais la dernière image cohérente qui resta fixée dans ma rétine fut le vol du flacon d’Absenthe qui vint se briser sur une stèle, éclatant alors en mille atomes de drogue qui imbibèrent alors la terre où reposaient toutes ces illustres figures. Pendant que mes collègues beatnicks divaguaient en essayant d’effeuiller les peupliers centenaires, je regardais avec une forme de consternation hilare les effets de la drogue s’opérer, un bras jaillissant, puis deux, merdre, on se crut alors dans la nuit des morts vivants de Romero, la bobine noir & blanc de 1968, sauf que les cadavres exquis dépliés dans un sursaut de vie (je n’avais nulle connaissance de cette propriété là), n’en voulaient pas à nos cerveaux, ils paraissant plus vivants que jamais, visages roses frais, sourires affichés dans la conscience soudaine d’une ultime dernière chance offerte par les dieux (enfin par la défonce surtout). Pendant que Sarah Bernhardt répétait inlassablement l’excuse qu’elle allait devoir fournir à ses descendants, Apollinaire noyait son bonheur de revivre dans l’alcool mais en version plurielle. Le clavier des Lovelies entamait quant à lui une longue conversation en blabla mineur avec Frédéric Chopin qui essayait vainement de choper quelques trucs pour sonner pop, je m’en remettais pour ma part à Marcel Proust songeant alors qu’il me restait comme lui pas mal de temps à rattraper, constat implacable d’une existence que l’on aimerait parfois chiffonner comme un vulgaire brouillon, quoique je fusse à ce moment précis fondamentalement heureux en couple. Après avoir réveillé les morts, une bonne centaine, nous partîmes dans une folle sarabande alors qu’on entendait au loin des aboiements nourris ponctués de cris de sirènes de police ; il était temps de vider les lieus. Le jour commençait à poindre lorsque nous nous engouffrâmes dans les couloirs vides du métro. Alors que nos mains tentaient de s’accrocher maladroitement aux barres du métro, le rythme des wagons bringuebalant nos corps en une samba onctueuse, nos visages impassibles et atterrés s’employaient à faire diversion : personne ne devait rien savoir sur les événements de la nuit, l’Absenthe, les morts déterrés. Je conserve cependant un dernier souvenir que je ne devais plus jamais oublier : à la station où je descendis, Molière qui avait volé un pardessus à un clochard faisait la manche, jouant pour un temps les saltimbanques d’infortune afin de pourvoir à sa nouvelle et misérable deuxième existence.  

(…)

Voilà… Pour cette aventure avec les Lovely Rita… Notons pour finir que cet EP mirifique sort quelques semaines avant le 40e anniversaire de Sgt Pepper’s des Beatles, c’était le 1er juin 1967, d’ailleurs à ce propos, en parlant d’anniversaire, je fêtais le mien dans une joyeuse ambiance délétère, c’est le samedi 2 juin, ma playlist avait mis à l’honneur les Lovelies et bien d’autres combos magico-psychédéliques, l’alcool coulait à flot, enfin, je ne me rappelle plus très bien, je devais danser un moment, un verre à la main puis mes paupières se sont alors subitement fermées, prises dans le piège inextricable de l’ivrognerie travaillée, toujours est-il que je me suis réveillé quelques secondes plus tard dans la chambre et le tableau que je découvris mon plongea dans un effroi comique fort salutaire. J’étais sur le lit, en fait, je chevauchais un ami dingo, lui aussi grand buveur devant l’éternel, sorte de moudjahidin bouclé et hirsute, son pantalon était baissé dévoilant une paire de fesse velue et rebondie. Et j’en viens à l’effroi car au moment où je sortais de ma torpeur avinée, je fessais le drille à grand coup de ceinture en cuir, la sienne, taste the wip chantait Lou Reed dans ma tête et ma conscience qui m’intimait l’ordre de continuer de  plus belle, mais je voudrais soulever comme un doute, rassurer mes fans en cet instant : point de coming out, juste un plaisir coupable pour la fessée dont je maîtrise l’art depuis quelques années, comme quoi on peu être dandy pop et diable rock, souvenez-vous Venus in Furs, Sacher-Masoch et toute cette littérature de gare qui en influença plus d’un, Russ Meyer en tête, qui lui opta pour la prothèse mammaire (je ne parle pas là, bien évidemment, de cet élu du peuple, maire et qui porte la moustache comme personne) ; vision infernale d’un rêve qui fut hélas réalité.
 
Lovely Rita, Begin Here (Autoproduction)
 
lovely-rita-begin-here-ep.jpg

https://soundcloud.com/lovely-rita
 
 
 

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