Dashiell Hedayat, non il n'était pas un con

par Adehoum Arbane  le 10.10.2006  dans la catégorie C'était mieux avant

Il changeait de nom comme de peau. Passant du futal en cuir au crève-cœur fatal. Melmoth, Dashiell Hedayat, Jack-Alain Léger. Poète beat, chroniqueur rock, chanteur, dandy, écrivain. Des devantures faites d’ivresses multicolores. Chant incandescent. Voix blême. Folle. Free. En 69, l’Académie Charles Cros honore sa poésie, cintrée comme un futal en cuir. Cela lui tenait, semble-t-il, à cœur. Ça, c’est l’histoire d’une mélodie qui sonne. Récit.

En 1968, la France s’ennuie. En mai, elle organise une fronde stérile et grossière, des gosses de riche sur le pavé. Sur le parvis de la création, rien ou presque. Les minets minaudent. La variété ne varie pas. Des têtes s’affichent. Gainsbourg prépare la révolution stylée, Melody Nelson hante déjà son crâne végétal. Bien avant l’avènement d’une scène underground menée par Magma, Red Noise, Ange, Komintern, Heldon, Martin Circus…, une autre bobine déroule son verbe éclair. Un autre Gérard Manset avant l’heure. Il s’affuble d’un pseudonyme mystérieux en diable : Melmoth. Comme un écho à Charles Robert Mathurin. On est en 1969, année érotique, et notre homme ou plutôt cet esprit fantomatique sort un album impossible, La devanture des ivresses. 7 titres allumés, des clopes dispersant dans l’atmosphère des mots en volutes, envolés. Sur fond de free pop zébrée de sax midnight et de wah-wah affolée, Melmoth récite des histoires de rockersss, de crucifixeeeee, de filles de joie et de ballades fiévreuses sur grosse cylindrée. La musique, elle, est ébréchée, sorte de collage surréaliste d’orgue aigu, de cuivres feutrés. Tout est cliquetis, petit théâtre d’ombre et de lumière. Entre psychédélisme suave et jazz démembré. Comme si Melmoth s’était attaché à traduire les atonalités dadaïstes des premiers enregistrements de Soft Machine. « Vous direz que je suis tombé » en est le morceau le plus intense : voix chevrotante, plaintive, le saxo entretient un dialogue dans une permanence déchirante. Une sorte de chanson du partisan sous acide. La guimbarde rappelle les thèmes Morriconiens. Lugubre, hanté, intense. Le reste vaut plus que le détour. La musique continue ses loopings, le verbe enchaîne les passerelles improbables comme ces « stations Martin Luther King où des noirs font le plein » (La mort multicolore). Là où Gainsbourg réinvente méticuleusement l’alexandrin, Melmoth couche sur son papier à fleur le mal de la came, le champ lexical de tous les possibles. Mirifique.

Puis deux (trop) longues années de silence avant de retrouver le chemin des studios, au château d’Hérouville. On est en 1971. Le collectif franco-anglais Gong joue un rock pataphysique gourmand, nourri au camembert électrique. Quand Melmoth, alias Dashiell Hedayat, les rejoint, tout part en vrille. Chrysler rose garée de travers, les esprits aussi. L’album est plus rock, plus concis, resserré. Quatre morceaux avec, en face B, une longue suite progressive. 23 minutes d’errance verbale, d’atermoiement musical. La voix s’est affirmée. Le style reste approximatif, délirant : le flow comme disent certains. Dashiell maîtrise cette forme d’inspiration insoumise. Les heures passent, les années avec et depuis, cette galette contestataire tranche sévère. Tout est bon, le son ample, étoffé, entre les guitares expressives et les cris spatiaux, spacieux de Gilly Smith. La France n’est pas prête. Elle boude encore Histoire de Melody Nelson et croit voir en Magma un groupuscule de néo-nazis hirsutes. Une blague. Dashiell se veut dandy, bien loin des parodies « Tagada tagada voilà les Daltons ». Il nous convie à la poésie. Il déambule, funambule des mots, démons tapis dans son âme. Des femmes, des chiens, des laisses, des culs comme une plume, trempés dans le caniveau de son inspiration. Voix éraillée de William Burroughs psalmodiant des psaumes de beatnik paumé camé. Paume pleine de piqûres. Tous les esprits sont conviés. Même Sam, le très jeune fils de Robert Wyatt. Un énorme gang bang orbital sur les coussins épars qui s’étalent à l’intérieur de la pochette. Dashiell y trône. Grand seigneur. Grand prêtre. Grand bordel de tous les sens. Garage cosmique. Débris stellaires de toutes parts. Insolite. Insolent. Dandy. Drogué. Rock’n’roll. Mes débris de mots, ceux qui me viennent à l’esprit à la lecture de ce précis musical et atonal.

Qu’est devenu Melmoth-Dashiell ? Un écrivain en marge du système. Une plume libre. Un homme à part, dans un monde en parts de marché, et qui part à la dérive. Vous direz que je suis tombé sur ses disques. Vous lui direz merci.

Dashiell Hedayat, Obsolete (Shandar)

Dashiell Hedayat - Obsolete LP front.jpg

http://www.youtube.com/watch?v=jiTw4sodRyA

http://www.youtube.com/watch?v=M1Kqf5gPsdg

Pour lire Dashiell :
Robert Wyatt - Abécédaire - Le Bleu Le Bleu
 

 

 


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