Forever Changes, Love forever
par Adehoum Arbane le 22.09.2006 dans la catégorie C'était mieux avant Faut-il pleurer le destin en demi-teinte des infortunés Love ? Faut-il maudire les Doors d’avoir été propulsés sur le devant de la scène alors que le groupe d’Arthur Lee devait pour un temps tomber dans l’oubli ? L’histoire du rock est riche de ces destins ahurissants, de ces parcours chaotiques qui voient pourtant, dans les pires moments d’incertitude, émerger les plus beaux trésors. Forever Changes fait partie de ses joyaux boudés ou ignorés qui retrouvent aujourd’hui la gloire (posthume) qu’ils auraient dû amplement mériter.
Ignoré pendant longtemps, Forever Changes demeure un grand disque. De ces chefs-d’œuvre limpides, vibrants témoignages d’une période où le faste et la luxuriance musicales étaient de mise. Et pourtant, l’objet vinylique vécut pendant 3 décennies une totale éclipse du cœur. Un non-dit a lui tout seul. Combien de navires naufragés, de coffres enfouis dans les limbes de la production sixties ? On pourrait citer plus d’un chef d’œuvre fulgurant aussitôt avorté. L’album des Fate en 1968 pour la Warner et qui vient de trouver acquéreur, à travers une réédition salutaire, le prouve amplement.
Beaucoup ont vécu dans l’ombre des plus grands. Les Love n’échappent pas à la règle. Pourtant, personne ne sous-estime leur œuvre, surtout les ovnis que furent Da Capo en 66 et Forever Changes en 67. Imaginez le premier groupe inter racial, affublé du patronyme le plus universel qui soit, et dépositaire d’un folk rock purement californien. Leur force (et leur différence) : mêler pop solaire et guitares incandescentes, arrangements touffus et acoustique sensuelle. Arthur Lee couche sur ces arpèges délicats une voix de velours, parfois grave, mais dont les modulations complexes et inédites envoûtent dès la première écoute.
Forever Changes réconcilie la soul avec le rock le plus jusqu’au-boutiste. Mais la gageure de l’album est sans aucun doute d’inventer une pop typiquement américaine, en marge du style Beatles, alors très en vogue. L’histoire un peu pathétique du groupe, la mythomanie de son leader ont sans doute contribué à façonner Forever Changes et l’imposer comme une œuvre atypique et donc, par la même, immortelle. D’où cette tension permanente, cette douce violence. Écoutez très attentivement A House Is Not A Motel. Et puis, il y a la fragilité angélique de Bryan McLean, songwriter timide au timbre brisé. Il est tributaire des deux plus belles compositions de l’album : Alone Again Or et Old Man. Candeur enfantine, trémolo tout en retenu font de ce dernier titre un miracle de beauté récoltée quasi fanée.
Dans Da Capo, clavecin et flûte construisaient des architectures fines et compliquées, délicieusement baroques. Forever Changes déploie tout son faste orchestral, cordes et cuivres à l’unisson. Tout y ciselé, ouvragé. Une sorte de Sgt Pepper’s de la côte ouest, la maturité en plus. Les filtres du psychédélisme se superposant à l’ensemble sans aucune redondance. En plus des métissages parfaitement assimilés, il y a ce contraste audacieux : des guitares de fer dans un écrin de velours. Tel est le savant mélange et le secret de Forever Changes.
Allons-nous retenir la leçon des grands oubliés de l’Histoire ? Rien n’est moins sûr. Certes, les Love retrouvent enfin leurs lettres de noblesse. Forever Changes devenant pour beaucoup un fervent objet de fascination et de culte. Une autre formation qui perdit tragiquement son leader, Randy California, mériterait un retour en grâce musicale tant leur œuvre tient de l’enchantement permanent : je veux parler de Spirit qui en l’espace de 4 LP magiques, soyeux et complexes, atteignit le firmament du son west coast.
Revenons à Forever Changes. Quarante ans après, ce disque ne se lasse pas de murmurer à qui veut bien l’entendre ses guitares hispanisantes, ses mélodies (en)chantées, ses loopings cuivrés et ses paroles nébuleuses. Ah, cette alchimie complexe qu’on appelle l’Amour…
Love, Forever Changes (Elektra)
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