The Zombies, cerveeeaaauuux de la pop
par Adehoum Arbane le 28.07.2006 dans la catégorie C'était mieux avant
C’est l’histoire d’un ours. Moi.
Autrefois meublé accueillant, mon appartement s’était transformé en une sorte de caverne, comme celle du capitaine du même nom. Une tanière nauséabonde qui ne ressemblait en rien à la charmante masure des 3 ours de Boucle d’or. D’ailleurs je n’étais plus depuis longtemps le pendant gracile et masculin de Boucle d’or. On devinait tout juste sous ma moutonnante chevelure rousse le souvenir solaire et capillaire d’un visage angélique. Il n’y avait plus d’ange. Une barbe brouillonne, pleine de ratures rouges, avait envahi mon visage. Je traînais ainsi ma triste dégaine boursouflée d’une pièce à l’autre, comme un zombie, le geste suspendu, le pas mécanique. Je ne sortais même plus de chez moi. On me livrait des vivres, ce qui me permettait de me nourrir sans difficulté. Parfois, une proie un peu naïve s’égarait tout bonnement devant ma porte, se livrant ainsi à mes féroces appétits. Bref, j’avais tout du grand méchant roux.
Et puis un jour...
... Par la grâce divine de je ne sais quel miracle, un objet atterrit sur le pas de ma porte. La chose parfaitement carrée était enrobée de papier kraft, le tout retenu par une vieille ficelle tout effilée. J’ouvrais alors le paquet avec une certaine forme de curiosité retrouvée. La pochette d’un disque s’offrit alors à mon regard, en une délicate nuance de couleurs vives, kaléidoscopiques. Le lettrage magnifiquement ouvragé disait en substance : The Zombies, Odessey & Oracle. Je déballais le boîtier, posais le disque sur la platine sourde et poussiéreuse. Puis ce fut la révélation magique. La métamorphose. À mesure que les Zombies entonnaient leurs comptines enluminées, mon apparence changeait. Progressivement, les épaisseurs touffues qui recouvraient ma tête firent place à une longue chevelure soyeuse et parfumée. Frappés par la chaude lumière de Maybe After He’s Gone, les traits de mon visage s’affinèrent et mes yeux retrouvèrent tout leur éclat. Mes pieds avaient quitté le sol. Je flottais comme un séraphin, défiant les lois de l’apesanteur de mon ami Newton. Brief Candles tintait dans l’espace, les lignes de mellotron reliant les moindres particules invisibles qui donnent habituellement ce grain aux premières lueurs du jour.
La musique des anges !
Voilà que le Paradis s’invitait chez moi avec des chœurs enfantins et des orgues de messe. Cet oratorio pop continuait son œuvre. Mon corps se mit à fondre comme une glace acidulée et mes oripeaux bestiaux s’en retournèrent au vestiaire. Hung Up On A Dream jouait les opéras baroques avec une ferveur qui dépassait mes plus folles espérances. Jamais un tel ordonnancement de voix, de clavier et de guitare ne m’avait touché à ce point. Je me retrouvais nu à présent. Changes acheva la métamorphose. J’étais maintenant habillé d’une chemise en soie d’un vert quasi argenté, d’un pantalon jaune paille et d’une veste d’officier anglais du XIXe siècle, bleu marine, rouge et or. Un foulard s’était noué à mon cou. Enfin, mes pattes d’ours n’étaient plus qu’un odieux souvenir, sous le cuir épais de mes bottines blanches. Le parfum qui m’auréolait sentait bon le clavecin et les OUH OUH OUH, exactement comme dans I Want Her She Wants Me.
Le fouillis de la pièce n'était plus. A la place, des ornements baroques, des moulures entrelacées, des chandeliers jetant sur les brocards des lueurs vives et chatoyantes. Sur le vaste azur du plafond des saynètes bucoliques s'exécutaient sous mes yeux en arabesques colorielles. Les miniatures sculptées de feuilles d'or répondaient aux miniatures musicales, dessinées dans l'ovale du gramophone. Je me trouvais dans le petit salon d'une jeune marquise au teint de porcelaine ou dans un boudoir exquis : un orchestre de chambre y gravait des sonates délicates et mélancoliques. Le sentiment de rêve sembla se prolonger longtemps, comme un arrangement éternel.
Moi aussi, je m’étais libéré de la cellule 44 et une rose, offerte par la douce Emily, était accrochée à ma boutonnière. Puis, vint le moment tant attendu de Time Of The Season et son swing feutré, fait de soupirs de claquements de main et d’orgue pourpre. Je me déhanchais comme un Brett Sinclair de night-club. J’étais Brett Sinclair ou tout du moins une pop star des mid-sixties, un mod du swinging London, un dandy de Carnaby, un Jean-Sébastien Bach rock. Et comme tout revenant qui se respecte, je n’en revenais pas. Je conservais précieusement le chef d’œuvre des Zombies en imaginant quelle odyssée serait alors ma nouvelle existence.
The Zombies, Odessey & Oracle (CBS)
Commentaires
alexandre
10.10.2006
J'adore cet album, c'est une merveille, il n'est vraiment pas reconnu à sa juste valeur.
la première fois que je l'ai écouté, j'ai eu un peu de mal, c'était peut être trop pour moi en une seule fois, alors je me le suis remis, et sans que je m'en rende compte je suis devenu accroc à ce disque (et sa pochette magnifique) et plus généralement aux géniaux zombies qui font parti maintenant de mes groupes préférés
très belle chronique , et j'espère qu'elle incitera d'autres gens à s'intéresser à cet album touché par la grâce.