par Adehoum Arbane le 07.04.2006 dans la catégorie C'était mieux avant J’étais devenu la proie des idées fixes...
... De celles qui ne vous quittent plus d’une semelle, arpentant les rues sans issue de votre cerveau londonien, enfin du mien. J’avais rendez-vous dans un square ou dans un parc, je ne sais plus trop. Tout ce dont j’arrive à me rappeler, ce sont les pelouses verdoyantes, cette brise légère, un soleil blafard s’affalant dans le canapé bleuté de la Tamise, des gosses jouant dans les rues, habillés comme des petits lords. Je me rappelle aussi une sorte de kiosque à côté d’une cabine téléphonique avec de longs câbles partout, un ou deux amplis et un groupe anglais, un de plus, jamais un de trop. Ils sont aujourd’hui encore mes invités. Deux frères, Ray et Dave Davis, deux intendants, Peter Quaife et Mick Avory. Ray dans la cabine braillant ses vers dans le combiné du téléphone, le reste du groupe sous les voûtes victoriennes du kiosque. Et non loin de là, planté droit, toutes racines dehors, celles du folk, du blues, du rock et de la pop, un arbre généalogique. Sur chaque feuille, on pouvait lire la tendre et verte émotion des visages heureux paysages intérieurs, contrées inexplorées d’un imaginaire en demi-teintes, l’Angleterre des Kinks, tout un royaume uni au son d’un carillon pop. Des bouquets de notes s’enroulaient tout autour de l’écorce, le vent caressait les tiges guitaristiques, les corolles acoustiques et parfois, quelques grains de folie semblaient s’en échapper furtivement. Sur ce parterre de pleurs inondant le village vert se trouvaient une jeune femme, Lucile In The Sky With Diamonds dressed in Rosie Won’t you Please Come Home.
Je m’assis auprès d’elle et nos âmes sœurs bavardèrent un moment. Chacun raconta à l’autre son histoire préférée, son livre de chevet où étaient enfermés tous ces Voodoo Man, Lola et autre Powerman. Je lui parlais silencieusement, sans remuer les lèvres, mais en remuant des pensées qu’on ignore, de ces airs que l’on chantonne naïvement, de ces paroles que l’on reprend en chœur comme dans Apeman.
Et nous avons ouvert ensemble cet album photos d’une Angleterre pop aux miniatures chantonnées, Lola Versus Powerman And The Moneygoround (Part 1), bel ouvrage tout droit sorti de l’an de grâce musicale 1970. The Contenders résumait admirablement l’héritage des Kinks : plage acoustique irréelle, brodée de chants voilés aux intonations country, break, ouverture à la guitare, débordement de piano et d’harmonica, délicieux foutoir rythmique, joyeuse débandade blues rock, 2 minutes et 42 secondes d’orfèvrerie Kinksienne ! Premier constat : les Kinks n’ont rien perdu de leur irrévérencieuse rock attitude, de leur insolence débraillée, de leur tendresse saisie sur le châssis d’une Albion merveilleusement perfide, avec toutes les couleurs de la nostalgie. C’était bientôt l’heure du thé. Pour autant, nous aurions bien aimé ajouter dans nos tasses quelques gouttes d’un bon vieux old whisky, un bourbon éraillé, frelaté, aussi poisseux que les marécages du blues américain. Dave Davies assure la relève de la vieille garde pop avec Strangers, sculpté de motifs d’orgue éreinté, martelé par un rythme minimaliste qui n’est pas sans rappeler (surtout dans son final !!!) l’introduction de Five Years, dans Ziggy Stardust & Spiders From Mars.
Lucile et moi étions arrivés à la déduction suivante...
... Les Kinks et leur charme vinylique, regorgeant d’émotion et d’humour, avaient pris une place importante dans nos vies respectives. Leurs chroniques aristo prolétariennes étaient devenues un peu les nôtres. Nous avions à peine quitté Denmark Street et ses relents de chansons à boire que l’Union Man nous prenait par la main à travers la balade promenade de Get Back In Line. Retour à cet instant précieux où marmonne l’orgue de John Gosling qui vient d’intégrer le band, à cette beauté fragile qui nourrit si intensément l’art de Ray Davies. Nos cœurs se mirent à vibrer à l’unisson… Pour Lola, histoire improbable d’un amour impossible (pas dans une chanson de Ray) entre le moins passionné des hommes et un travesti buveur/buveuse de champagne. Derrière le propos au soupçon glam, la tendresse fait un retour en force, oui en force : les chœurs hurlent des onomatopées en boucles de rimes autour de Lola. La guitare électrique s’emmêle aux cordes acoustiques comme une chevelure diabolique.
Lucile se mit à tourner un bouton de rose et la pelouse du parc se brouilla un moment, comme si elle changeait d’ondes : Une voix familière, Top Of The Pops, puis un riff hard qui semblait tout droit surgir de l’année 64 où You Really Got Me bataillait avec All Day & All The Night, où Got My Feet On The Ground lâchait la juvénile expression d’une jeunesse Marlon Brandonienne. Bouillonnant, orgue (anique), le morceau annonçait clairement la couleur, brute, totale, immense, fauve, dépouillée, celle des seventies. The Moneygoround renouait avec les sonorités allègres de Everything Else, de Village Green, comme un interlude annonçant la seconde partie de l’album.
Crissements lointains d’un avion décollant…
This Time Tomorrow et son refrain élégiaque, son piano en forme de sonate, son orgue religieux, sa douce mélodie s’écoulant comme une larme de rivière vive, sa guitare frappée pastorale, c’est un hymne, une prière, une allégorie sonore dépeinte nerveuse tendre mélancolique presque mauve…
Nos Kinks, impressionnistes britanniques bercèrent nos cœurs de langueurs déroulées comme des tapis de pensées amères. Ces vignettes étaient peuplées d’images pas toujours sages, d’amis oubliés, de souvenirs en noir & blanc, de grands bouleversements de l’existence que laissait entrevoir paisiblement A Long Way From Home. Mal du pays pianoté. Tout d’un coup, Rats donna l’assaut avec ses déhanchements de guitares électriques, de batterie de derviche tourneur, de claviers brumeux. Dave s’en donnait à cœur joie et nous étions tous deux pris dans une sarabande orgasmique savamment minutée dosée concoctée avec des striures acrobatiques soniques éclairant les grands vides noirs des nuits de septembre. Nous reprenions nos esprits, bercés par les oiseaux gazouillant des folks nébuleux quand un joyeux King Kong costumé surgit d’un haillon de buisson. Nous étions au cœur de l’univers de Apeman et son écologie rigolote où les pianos bastringues et les sifflets diffus remplacèrent pour un moment les discours à la vacuité roborative.
Nous arrivions à la fin de l’aventure quand les Kinks entonnèrent Powerman, intro en forme de raga rock puis riff déboulonné avec un professionnalisme certain. Entêtant, répétitif, avec ses nappes d’orgue, ses paroles sans fin, elles aussi en boucle, It’s the same old story, the same old game. Got To Be Free vint clore l’album, comme la seconde partie de The Contenders, intro country, piano rythmique basique systématique. L’ouvrage s’achevait ainsi, sur ces notes.
Nous sortions tout juste de notre torpeur quand les visages de cette histoire aux multiples protagonistes disparurent dans un écho lointain invisible. L’espace s’était effacé… Devant notre réalité : nous n’étions plus en 1970 mais dans notre chambre et le bras armé de la platine tournait en rond, comme s’il avait essayé, une dernière fois encore, de retrouver la douce caresse chantante du microsillon.
Commentaires
Olivier
14.12.2007
Très bonne chronique! C'est vraiment un excellent album, avec vraiment des tas de genres explorés : folk, hard rock, country, rock'n'roll, pop... Mon 2ème préféré après l'inégalable Arthur et ses tas de solos Daviesiens géniaux!