The Gris Gris, sorciers du psyché

par Adehoum Arbane  le 23.03.2006  dans la catégorie A new disque in town
La sensation du moment…
… Brumeuse, insidieuse, cosmique nous vient de la côte ouest. Etats-Unis. Au cœur de San Francisco. Bijou pendu au cou d’une Amérique redécouvrant les vertus tribales de l’acide rock, les Gris Gris ont renversé leur chaudron psychédélique sur le terreau du rock indé. Brûlures droguées. Lave lysergique s’écoulant dans les microsillons d’un album dangereusement recommandable. Ces 4 vaudous childs ont brodé 12 tapisseries sonores, soniques. Et dans les vapeurs opaques de leur pochette, apparaissent des visages, des masques impassibles. Ils sont sorciers du son en clair-obscur. La musique, elle, est une incantation. Un sortilège en deux parties. La première exhorte les esprits perdus dans les dédales des années 60 : 13th Floor Elevators, Seeds, Maze, et autres Electric Prunes. La deuxième pète les plombs. On en ressort pas indemne.

Ecks Em Eye ouvre la messe, fête païenne aux incantations scandées, phrasé monolithique des voix et de l’orgue, saxo furieux, stoogien au milieu des guitares reptiliennes, très Syd Barrettiennes. L’orgie sonore ne s’interrompt jamais, juste un calme vaste de percussions multiples, appelé Peregrine Downstream, quelques minutes avant la dérive psychédélique de Cuerpos Haran Amor Extrano. Mélopée larvée, suintant le bad trip gorgé d’orgue couinant et de guitares malades, la voix enregistrée en écho, au loin. Très loin. Down With Jesus, imprécation pop quitte cet espace transitoire pour retrouver des couleurs plus heureuses, celles d’un après-midi San Franciscain, têtes perdues dans les pelouses ondoyantes du Golden Gate Park. Big Engine Nazi Kid Daydream nous plonge avec délice dans ces ballades pop folk vaporeuses qui constituaient la trame musicale de Medecine Fuck Dream. Et les tambourins sont des serpents à sonnette sur fond de désert ensanglanté par le soleil couchant. Mais son final tourbillonnant porte en lui les prémices de Year Zero, morceau psychédélique par excellence. Mélodie en escaliers, guitare ciselée, nappes d’orgue tranchantes, et cette voix expectorant un rock rageur et abrasif. Greg Ashley le shaman ! Greg Ashley le mage ! De magie, il est aussi question dans The Non-stop Tape : sorte de collage subtilement insupportable qui doit autant aux Mothers Of Invention de Franck Zappa qu’aux expérimentations dépravées des groupes du label ESP. Brouillage terrifiant d’une radio perdue dans les abîmes abîmés de l’espace-temps psychédélique. Medication #4 déploie tous les atours d’une chanson du Velvet, chantée comme une friandise de l’esprit. Skin Mass Cat renvoie aux plus sombres heures des bad trip de Timothy Leary : voix codée, enregistrée au loin, guitare aux blop lancinants, harmonica en fil de fer.

Pick Up Your Raygun est mon morceau préféré.
Entrée en matière première, du genre illicite, droguée. Chœurs aigus, piano électrique modelant déjà des visions cauchemardesques tandis que les voix se nouent autour d’une guitare stridente. Puis riff, crissement électrique et la batterie explose, suivie par des voix rappelant les Stones de 66. Pick Up Your Raygun, deuxième partie évidente de Paint It Black et de Mother's Little Helper. À chaque écoute, ma moelle épinière est traversée d’un spasme éclair, je suis pris dans le tourbillon d’une mélodie accrocheuse, tribale, tripante, man ! Le chef d’œuvre de l’album.

Durement éprouvés, l’âme et le cœur retrouvent calme et sérénité. Avec Mademoiselle Of The Morning d’abord : ballade folk rappelant le meilleur de Van Morrison. Puis avec For The Season, mantra de plus de 7 minutes se perdant avec transe dans les joies diaphanes d’un orientalisme lyrique.

Il faut écouter For The Season, il le faut.
C’est l’état d’urgence. Partout. Même dans les lisières de l’Indie Rock US. Mais il faut aussi plonger dans les abysses du premier album éponyme des Gris Gris. Il faut aussi entrer dans le rock garage binaire des Mirrors, première formation du décidément surdoué Greg Ashley, gourou génial, frère d’arme d’Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre. Psychedelic war is not over !

The Gris Gris, For The Seasons (Birdman)
 
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