par Adehoum Arbane le 24.03.2006 dans la catégorie C'était mieux avant Mes Kinks adorés, mes Kinks sursaut d'électricité juvénile, vision d'un Royaume-Uni branché : c'est l'origine des Kinks, kinky, branché… Comme une six cordes sur You Really Got Me et All The Day & All The Nights. Merci pour ces jours dépeints dans un vert tendre, pour ces mélodies pastorales, léchées… Par le soleil d'un long dimanche de repos. Longtemps, je me serai promené sur ces pelouses anglaises, dans ces campagnes doucement vallonnées, entre les rives de ces guitares tranquilles, où les ponts harmoniques qui les relient sont des touches de piano. Mon cœur bat pour ces merveilleux dandies britanniques, comme un clavecin aigrelet accroché aux premiers rayons fugaces du printemps. Do You Remember Walter ? Ray est mon meilleur ami, ses paroles nourrissent les échos de nos adolescences enlevées, dérobées, tourmentées. Ray est un drôle d'oiseau, libre de s'envoler à chaque air et dans les airs, ses bras strient les nuages, les rythmes se mettent à palpiter. Ray est un beau diable et sa bande une joyeuse confrérie, celle de la préservation du village vert de l'Angleterre, de Dracula et de Moriarty. Ray est un baladin et j'aime lorsqu'il nous balade dans les moindres recoins de son univers paisible. Les arbres y ont un goût de sucrerie douce-amère oubliée, les fleurs ressemblent à de vieux drapeaux fanés.
Ray est mon roi d'Angleterre...
... Monarque foutrarque fantasque, régent, prime minister, clown acrobate jonglant avec les mots, poète aussi. Poète et nouvelliste populaire aux récits inscrits dans les faubourgs, histoires que l'on raconte aux belles pour mieux les endormir dans nos bras… Ray est tout cela… Chroniqueur, le Mister Reporter en vadrouille dans un Londres bigarré, coloré, excentrique, magique et libre. Carnaby Street où je m'étais promené naguère résonne encore des pas sisyphiens du Session Man de Face to Face, sorte de relève de la garde, d'un studio d'enregistrement à l'autre.
Dans le club de Ray, vous ne trouverez jamais porte close, et pas besoin de carte pour y entrer.
Il est ouvert à tous et ses salons sont d'énormes fenêtres lumineuses sous lesquelles s'écoule une rivière dorée et au fond, quand la surface caressée par les roseaux brûlants soulève son rideau clair, on entrevoit les chansons nager comme des poissons d'argent. J'ai une vraie tendresse pour les Kinks et leurs chansons joliment troussées… On en oublierait presque les albums : The Kink Kontroversy, Face to Face, Something Else, The Kinks Are The Village Green Preservation Society, Arthur, Lola… J'étais assis sur un banc, dans un parc je crois, et des enfants jouaient autour de moi : ils portaient des casquettes rouges et blanches… Je lisais un journal, celui de Ray Davis et de ses merveilleux Kinks. Chaque histoire ressemblait à un petit fait divers : Rosie a quitté la maison et maman qui s’inquiète. Quelques colonnes plus tard, un rêveur blasé dépouillé par les huissiers, de tout sauf de son flegme aristo. Il ne devait conserver que le souvenir prostré d'un après-midi ensoleillé. Le temps d'un été. J'eus l'impression de vivre ces existences minuscules, millimétrées, murmurées tant ma chair en ressentit l'émotion comme un vent d'octobre glacial, brisé par le pouls lointain des trompettes et des trombones de fanfare dans les rues sans issue. Dead End Street, martèlent les chœurs du grand orchestre kinksien. Ces suaves chroniques portent en elles la part d'éternité de ces trésors modestes que l'on continue à chérir, longtemps après les avoir exhumés des tombeaux nostalgiques de nos jardins effarés.
Mélancolie désabusée et timide, vague à l'âme shelleyien...
... Ritournelles pop sonnant comme des carillons dans les chapelles londoniennes et les textes soupirent des motifs ciselés dans le vitrail des funiculaires souterrains. Ring The Bells chantonne Ray alors que les guitares couchent sur les tapis champêtres leurs arpèges pincés délicatement. Les Kinks étalent leur musique comme la nappe d'un déjeuner sur l'herbe baroque et solaire. Aurore de bossa nova dans No Return, chant de cygne quasi enfantin de Rasa, l'épouse de Ray, dans Death Of A Clown, la voix de crooner du sieur Davies sur End Of The Season. L'impression de fin du monde qui vous saisit à mesure que l'horizon saisit le dernier rayon jauni dans Lazy Old Sun, titre ô combien empreint de langueurs cuivrées ; nous savons tous à quel point il renaîtra avec magnificence, dès le lendemain. Ray le sait, lui. D'où son appétit de song writer. C'est pourquoi il récidive dans Waterloo Sunset, avec élégance, ce charme typiquement anglais jaillissant, incroyablement fluide, dans les chœurs angéliques, entre les cordes acoustiques rehaussées d'un doigt d'électricité comme si l'on avait, une dernière fois, branché le soleil juste avant qu'il ne s'éteigne sur Waterloo.
Poursuivons, faisons l'école buissonnière avec Ray. Quittons le chemin, effeuillons encore un peu, nous avons tout notre temps, ce livre d'images, ce ciel énorme et vaste, si vaste qu'il semble assis, là au bord de la rivière. Il y a dans cette prose sonore, sous le tintement léger de l'épinette de Village Green, tous les ressorts de l'émotion ; il y a dans ces récits le portrait tendre de l'amitié. Walter, tout d'abord, dont le souvenir, évoqué quelques lignes plus haut, ne nous a pas quitté. Il y a également la généreuse constance des choses qui ne passeront jamais. Il faut écouter All Of My Friends Was There : cette évocation heureuse n'est pas sans rappeler la tendresse du Friends Of Mine des Zombies.
J'ai fini par rencontrer Ray Davies et ses fabuleux Kinks. Pas réellement, je veux dire. Mais en rêve : ils étaient en train de boucler Arthur. C'était en juin 1969. J'étais assis dans un coin du studio et irradiais la pièce de ma présence invisible. Je crois que j'ai rarement pleuré dans mon existence. Sauf lors des événements qui vous rappellent à l'ordre… Bref, mais ce jour-là, je n'étais ni à un enterrement ni à une cérémonie, mais je me souviens avoir versé une larme. Elle a commencé par poindre, par se tendre, se briser et s'écouler de ma paupière dès les premières mesures de Shangri-La. Quoi de plus beau, de plus touchant que la voix fragile et chaude de Ray guidée par cette trame mélodieuse, entremêlée de guitares et de cuivres… Sobres, feutrés, âpres. Puis, un espoir de notes, où la voix appelle un clavecin aux cliquetis nus. Puis le rythme s'emballe, soutenu par un Ray jouant les chanteurs de charme, et devient plus rock alors que les Kinks entonnent le refrain. Quel feeling incroyable, presque soul ! Habitué à des morceaux concis, le band s'émancipe en l'espace de 5 minutes et 20 secondes et jusqu'à la fin, ni les chœurs, ni les cuivres, ni les guitares ne faiblissent, comme si chacun voulait faire durer la note pendant toute une putain d'éternité. Ray Davies est un fou et qu'il serait bon d'être tous internés dans sa maison de repos. Imaginez le jardin qui s'étend, là, derrière ces murs, le rocking-chair qui se balance nonchalamment, comme si quelqu'un venait à peine de se lever. Thank you for the days, Mister Song Writer, car sans vous, ils seraient bien ternes.
Commentaires
Il n'y pas de commentaires