L'Elysée Montmartre, ce vendredi 7 octobre. Une première partie calamiteuse, puis une autre, avec Les Berlines, moins détestable, mais parasitée de tics pseudo rock : genre la jolie brunette en combinaison rouge, bottes noires, pendue aux courbes ravagées d'un Gainsbarre de la 6 cordes, une sorte d'escogriffe éreinté, yeux fatigués, chaussures aussi blanches que pointues, cuir efflanqué et chevelure grise frelatée. Une heure donc, longue, interminable de techno rock suicidaire puis le silence retrouvé, réconfortant. Nous étions là dans la foule mouvante habillée de pénombres à attendre les 4 pétroleuses de Brighton. Dans nos mémoires, nous avions laissé pour acquis 3 opus magiques, différents, dézonés, flingués, crépusculaires : Rock it to the moon, The power out, Axes. Un rouge opaque tamise les moulures baroques du plafond. Les esprits sont prêts à chavirer. Le public bigarré déploie son cortège de branchés notoires, d'allumés du bocal, de pseudo lesbiennes dégainées comme des mecs. Puis un murmure qui s'insinue comme une mauvaise peste, un filet de rumeurs grondant le long des couloirs. Electrelane arrive. D'abord les réglages. On s'accorde à accorder les guitares, à tester l'humeur du soir. Dans la salle, des minets de 30 ans lancent leurs déclarations d'amour dans les tessons de la nuit utérine. Moi le chroniqueur, silhouette prolongée d'ombres, le bras serpentant sur les épaules de ma nana. Le set commence enfin. Extase méthodique, entretenue par une batterie métronomique qui doit beaucoup au jeu de Moe Tucker, la batteuse du Velvet Underground. Emma Gaze donne le tempo, guide chaque membre du groupe vers une troublante hypnose, un paroxysme cataclysmique. Dans la salle, les têtes dansent. Les corps onctueux balaient par intermittence les quelques rares interstices de lumière. On est déjà plongé dans un autre monde où les guitares mènent le bal. Je dis ça. Mia Clarke tranche sévère. Blonde, coupe au carré, robe de bal, une sorte de vierge suicidée à la beauté nacrée, anglaise, pose statique, jambes serrées finissant par des escarpins bon marché. Sa main droite frotte les cordes, ravageuse explosion stridente sur la plupart des morceaux. Cette petite fille à la beauté sournoise et au magnétisme binaire rédige une page revisitée 30 ans plus tôt par Lou Reed et les Stooges : punk sonique, blues expurgé, psychédélisme garage accrocheur. Tout le répertoire du groupe y passe, sa main est un scalpel, des ciseaux d'argent découpant un rock diamantaire. De l'autre côté de la scène, Verity Susman, visage encadré de vastes chevelures blondes, entre Virginia Woolf et les muses préraphaélites. Ses doigts torturés martèlent son piano électrique, les notes accouchées sont dissonantes, blafardes, presque gothiques. Avec elle, les instruments défilent : claviers, guitare, saxo… Une sorte de saxophone de Jéricho prêt à faire trembler les murs, les fondations même de la scène musicale. La musique se mue alors en un objet planant non identifié, un free rock pétri d'expressionnisme lysergique, un bon vieux morceau de bonne vieille Europe (dixit European Son du Velvet), cabaret rock, démence pop, valse, festin, Burroughs montant son propre groupe, la dope, les rêves d'avant-guerre, poésie, folie, compulsion, dérive, méthode, déhanchement ; une musique âpre et abrasive. Enflammée et caverneuse. Mon esprit se mit à vagabonder. Chaque centimètre de chair cérébrale envisageait alors la possible traduction scénique des morceaux qui ne seraient pas joués. Et dans ces cavités mêmes, se cachaient des souvenirs vinyliques, des résurgences sonores : Rock It To The Moon et ses thèmes James Bondiens, farfisa vintage perpétuant les dépravations pop du early Pink Floyd, façon Arnold Layne. Dans ce manège insensé (dixit la pochette aux déserts flagrants de l'humanité moribonde) les instrumentaux délayent cette errance formelle dans les cris de l'espace. C'est effrayant, la musique vous avale, vous dévore à belles dents, guitare et orgue cisaillent la tessiture des minutes. Inutile de citer les titres, ce disque est un long trip drogué au cœur des méandres de Brighton, loin, très loin des baigneuses anglaises de cartes postales. Rappel à ce qui est la réalité d'un live, un vendredi soir donc. L'espace palpite, les corps se crashent. La musique les enveloppe. Bilan critique : il y a dans le jeu d'Electrelane une sorte de mimétisme éthéré avec les Seeds de Sky Saxon, mythique combo californien ayant bousculé, dès 1966, les agencements solaires plaqués par les trop lisses Beach Boys. Mimétisme, je veux dire par là que les morceaux se suivent et se ressemblent. Construction similaire, logique rock dans l'écriture du quator : les premières mesures, nécessaires à l'installation d'un climat, puis lente montée rythmique, la guitare répétitive comme un mantra, la batterie préparant le terrain miné. Alors, boum électrique, gorgé de larsens ! On est happé, telle est la règle, le deal, le contrat en main. On en bave, on adore, on se surprend à devenir un être mécanique, on se laisse faire. Electrelane nous baise et c'est bon, très bon même. Le trip m'avait paru long, le concert fut en réalité très court. Quelques minutes plus tard, Verity Susman, sorte de VRPrêtresse platine, me vendait elle-même leur troisième album, Axes. Puis, nous avons laissé derrière nos corps violentés le souvenir d'une épreuve organique, d'une transe atomique, biliaire. Dehors, la nuit limousine s'était avancée pour nous cueillir au passage.
Shebam Blog Pop Wizz, c’est le site des fans de rock qui traînent avec des geeks qui parlent à des nerds bloqués sur les sixties mais qui louchent également sur l’Indie Rock des années 00, histoire de ne pas passer pour de bêtes adorateurs de la Sainte Nostalgie.
Commentaires
Il n'y pas de commentaires